samedi 18 octobre 2014

Fins de mondes


Phase IV ressemble un peu au souvenir que j'ai d'Arachnophobia: surtout pour le coup de la tranchée remplie d'essence pour tenir les araignées à distance - truc qui ne fonctionne de nouveau pas, comme quoi. Ici, il s'agit de fourmis et pas d'araignées. Comme très souvent dans la mise en place de projets scientifiques, quelqu'un se dit quelque part qu'il serait utile d'étudier des fourmis parce qu'elles commencent à devenir hostiles. C'est plutôt vague, mais ça suffit visiblement à caler deux types sous un dôme en plexi en plein désert pour un temps indéterminé. 


On découvre alors que les fourmis, en plus d'être méga organisées, communiquent et se préparent à envahir la terre - comme on le soupçonnait depuis le début. La phase IV n'arrive jamais - c'est le soleil couchant incandescent du dernier plan qui fait dans la métaphore bien lourde et le crépuscule de la race humaine. Tout le film est plutôt concentré sur le mode deux-scientifiques-sont-sous-un-abri-en-plastique-dans-le-désert-sans-air-co, qui reste? Une petiote rescapée d'une opération fulmigination (?) vient apporter un peu de distraction - mais ne sert absolument à rien dans l'économie générale.  Pour le reste, c'est plutôt bien fait: beau vaisseau spatial/labo, 

quelques questions existentielles nietzschénnes light ("faut-il continuer au péril des êtres humains qui peuplent ces terres pour le bien de la science") et des fourmis qui finissent par faire des trous dans la peau: la classe!


The music room raconte la fin du monde à l'échelle micro: celle d'une vie humaine. Un propriétaire terrien (ou un suzerain, dans le genre) bengali dilapide sa fortune dans des concerts de musique privés qui sont certes un tentative de maintien des apparences, aussi une passion qui prend le dessus sur le reste. Comme beaucoup avant lui, son amour du bon son va le ruiner: bijoux de famille vendus, famille à la dérive jusqu'au coup final porté par le naufrage des siens.La fin de son monde est aussi la fin d'un monde, celui d'une certaine organisation de la société, d'un certain état des choses traditionnel - il finira par brûler ses dernières cartouches et filer à poney parcourir une terre à moitié désolée que d'autres arpentent à présent en voitures pétaradant. Les longues scènes de concert sont faites avec pas mal de goût, évitant le folklorique condescendant et le statisme, disséminant ça et là des gestes minuscules, des réactions qui font avancer l'histoire en fond.

Toujours dans la musqiue, Dong - The hole se passe lui après la fin du monde - ou presque. Dans une ville abandonnée par ses habitants en pleine épidémie de fièvre du cafard - littéralement: les malades touchés se mettent à avoir peur de la lumière et cherchent les coins sombres et humides - deux voisins se rencontrent par l'intermédiaire du trou dans le plafond qui relie leurs appartement. Pas vraiment d'histoire, pas de dialogues, un bruit de pluie constant limite irritant, l'humidité qui augmente, dans l'appartement du dessous et une femme qui finit par se terrer sous ses couvertures: tout ça n'est pas bien gai. C'est alors que pour une raison inexpliquée, des courtes séquences de cabaret sont intercalées: tout de paillettes vêtus, montés sur des talons vertigineux, les personnages investissent les coursives de leur bloc, les escaliers du marché couvert, les ascenseurs pour des reprises de Grace Chang, actrice/chanteuse chinoise des années 50. C'est ultra bien fait avec des jeux architecturaux géniaux, une ambiance karaoké apocalyptique démente et un final qu'il est trop chou.


 

Phase IV, Bass, 1974
The music room, Banerjee, 1958
Dong, Tsai, 1998.

dimanche 12 octobre 2014

Ecran total

Comment me suis-je retrouvée à regarder ce film, très bonne question: Gun Crazy semble pourtant être sur toutes les lèvres. Une histoire d'amour avec des flingues et un couple de braqueurs en cavale - rien de nouveau. Mais il y a un petit charme qui fait tout: notre gentil héros, dont il est dit depuis le début qu'il tue parfois, mais seulement des "choses", va se retrouver, après avoir été séduit par une hétaïre qui manipule la crosse aussi bien que Dolto un symbole phallique, marié sans vraiment avoir eu son mot à dire. Ici, notons la scène de  demande en mariage la plus romantique de l'histoire du cinéma: "heu dis chou, tu t'arrêteras bien au prochain bled pour qu'on trouve un officiel" " un officiel, mais pourquoi donc?" "Bah c'est quand même pas un barman qui va nous marier" "ah donc ça veut dire que..." "oui, je le veux" qui finit d'ailleurs dans un cadre dont toute femme comme il faut rêve:

                              

La classe. Mais c'est sans compter sur cette gourgandine, qui n'est pas qu'une bonne tireuse: elle est aussi méchante comme une teigne et va, avec ses beaux zet longs cils entraîner son cher et tendre toujours plus loin dans le crime, rhaaa - comme le dit le titre: deadly is the woman, mouahaha.

The Wicker Man parle aussi de gens cinglés, mais en plus vintage: le pauvre policier qui se retrouve à enquêter sur une disparition - qui n'en est pas vraiment une, spoiler - voit tout son précieux catéchisme foulé aux pieds par des hordes de hippies qui mangent des pommes et se déguisent en animaux à la pleine lune. On retrouve le bon vieux débat super catho VS païen où le païen est finalement le moins vilain (or is it?) et plein de vieux clichés sur les rites tribaux - danse à poil autour du feu, menhir à la Stonehenge, femmes super chaudasses dont le pouvoir d’ensorcellement traverse les murs (scène intéressante featuring la meuf à Rod Steward) et moralité sur le déclin de façon globale. Parfois un peu lent et certains se sont plaints du manque de meurtre. 

Une soirée Z consacrée aux films punk - voilà qui est bien trouvé. Le premier échantillon, Class of 1984 est plutôt réussi, même si au final pas très punk - c'est l'ordre établi qui gagne- et se sert surtout du prétexte pour confirmer que la Thatcher avait bien raison de fourrer tous ces dévergondés en prison. La situation de départ est intéressante: un lycée dans lequel toute forme d'autorité a disparu au profit d'une punkisation généralisée des élèves qui refusent de jouer en rythme dans l'orchestre et qui portent des jupes bien trop courtes. Entre un jeune prof idéaliste, qui croit changer les choses et rentre en conflit avec le noyau dur. A partir de là, ça pourrait tourner au psychodrame écrit par Bégueaudeau, heureusement, ça part bien en vrille. Entre un vieux qui finit par perdre la boule et donner cours un flingue à la main (mon rêve secret) avant de foncer sur les mioches en bagnole (encore mieux) et une dernière demi-heure en mode "rape and revenge", il y a suffisamment de sang et un happyend qui laisse présager le meilleur pour l'avenir de l'éducation américaine. 

Liquid Sky est visiblement un film culte: je vois bien pourquoi, mais reste qu'il faut une certaine dose de second degré/d'alcool  pour encaisser la chose. Le pitch est pourtant super sexy: des aliens qui se nourrissent d'une hormone produite par le métabolisme à la suite d'un fix d'héroïne se posent sur le toit de l'appart d'une lesbienne-mannequin en pleine crise de bowisation aigue. C'est bien vu, y a toujours plein de drogués chez elle. Mais subtils, les aliens ont capté que ladite substance est également produite lors de l'orgasme. Comme notre wannabe warhol se fait sauter par tout et n'importe quoi, ça tombe bien. C'est là que ça se corse, puisque chaque personne qui jouit dans un certain rayon des aliens est immédiatement absorbé et disparaît. La maligne comprend alors qu'il lui suffit de se faire sauter par ses pires ennemis pour les liquider fissa. Exposé comme ça, c'est un peu limite. Mais c'est sans compter sur l'ambiance performance 80's avec musique inspirée (Me and my rythm box), costumes à épaulettes géantes et maquillages délirants. Le statut culte n'est donc pas volé. On mentionnera aussi le génie du traducteur qui a traduit "alien" par "étranger" donnant un sens métaphorico-politique vachement complexe (et probablement sans aucun sens whatsoever). 

Gun Crazy, Lewis, 1950.
The wicker man, Hardy, 1973
Liquid Sky, Tsukerman, 1982
Class of 1984, Lester, 1982

samedi 11 octobre 2014

Redneck pulp

Ça fait un moment que je me plains de la mievreté de la littérature française: pas le début d'une idée, pas la moindre prise de risque stylistique et même pas une bonne scène d'énucléation pour racheter le tout. Faut dire que je ne m'y intéresse plus vraiment depuis un moment - tant qu'à se faire chier à relire le centième récit d'un quadra en déroute sexuelle perdu entre la rive gauche et le Marais, autant relire Proust. 

Un ensemble de livres vient d'ailleurs de me confirmer qu'il ne sert à rien de s'échiner et qu'il faut plutôt se tourner du côté des States pour assouvir ce genre de pulsion littéraire: un style, plutôt vague et uniquement par moi défini, qu'on pourrait désigner par le terme "redneck pulp" vient donner une grande mandale à la littérature avec des majuscules à fioritures de vieilles rombière. Pulp parce que ça ne cherche pas à faire des grandes épopées, des fresques melviliennes et que ça n'a pas la prétention méta-intellectuelle d'un Pynchon ou la débauche maniaco-dépréssive d'un Wallace, et puis redneck, parce que ça parle de cet immense territoire coincé entre New-York et Los Angeles qu'on appelle America ( je cite ici Ned Flanders). Il est difficile de classer ces trois recueils qui ne sont probablement que la partie émergée d'un iceberg d'histoires bourrées de pick-up rouillés et de labo de meth dans les champs: je les ai rangés du plus crade au plus clean, ça peut toujours servir.

C'est dans ma quête du southern gothic que je suis tombée sur Crimes in Southern Indiana, premier recueil de Frank Bill, qui tient aussi une house of grit. On voit le genre. La série de nouvelles tourne autour du même territoire - qui n'est d'ailleurs pas à proprement parler le Sud - mais qui est suffisamment paumé pour donner une idée du non-lieu qu'il représente sur la carte du monde. Le truc s'ouvre sur un deal qui tourne mal: dans le texte, ça donne un truc parfois limite compréhensible niveau vocabulaire, avec une vague idée de cerveau qui explose, de têtes arrachées et d'une espèce de nonchalance très Americana post-Malick ( en plus dégueu). Le reste est à l'avenant: chacun à sa façon et chacun avec son drame - l'alcoolo qui vend sa petite fille pour payer les médocs de sa femme, des types à la chasse au cerf explosés sur le bord de la route, des fantômes planqués dans les bois qui survivent à coup d'amphétes diluées dans le bourbon et une odeur d'eau de Javel dans l'air.  On pourrait penser que c'est répétitif: ça l'est: les histoires se recoupent, se font écho et finalement, c'est un peu toujours la même misère, les mêmes pick-up et la même matière grise étalée sur le pare-brise. Mais c'est un peu ça le principe: une collection de vies ratées exposées à cru sans chercher à faire joli et encore moins à faire sens. Du point de vue de la langue, ça grince, ça jargouine, ça bouffe ses mots et ça se déchire quelque part au niveau du cortex. Le lecteur avisé ne s'aventurera d'ailleurs pas sans une documentation à l'avenant à portée de main.

Knockemstiff est un degré en-dessous dans la crasse: un espace géographique limité à une seule ville - y'a même un plan!- peuplée de mi-consanguins, mi-tarés toujours en mode amphéte/bourbon/vieilles bagnoles poussiéreuses et dinner blafards à 4 heure du. Mais là, y'a des trucs plus drôles, des histoires parfois mignonnes, comme cette histoire d'amour complètement malentendue entre un ex-toxico et une fille qui planque des fish-stick dans son sac à main, ou celle du bodybuilder fou qui se suicide à coup de poses sur le bord de la route par moins 15. Plus dans un esprit "fuck it" et au-delà du bien, du mal et du taux limite d’alcoolémie, on a parfois un peu envie de gerber, mais tous ces types nous font plus rire que pitié, comme le héros de Bactine: " I found myself wishing I had a loved one who would die and leave me their barbiturates, but I couldn't think of anyone who'd ever loved me that much. My uncle had already already promised his to the mail lady". Genre miiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiignon ou quoi?

Enfin, Animal rights and Pornography, de Miller est peut-être le plus difficile à qualifier. Certes, il commence sur ces mots; 
In a large and ancient family farmhouse at the edge of civilization, the mother caught in a routine of cleaning and cooking, has long since become distant from the father, and he begins to fuck the only daughter. Eventually, the oldest son notes this and, half out of a sense of hunger and half out of a sens of wanting to possess and protect the girl, he begins to fuck her too. Taking part in a kind of silent power  struggle, the father begins to fuck the oldest son in his ass. They go around like that for some time. 
Alors oui, c'est du pulp, parce qu'un ensemble d'histoires à deux balles, de tranches de vies oubliées dans le bac à légume d'un frigo éteint pendant les vacances, et c'est peuplé de gens complètement ravagés, entre consanguins, bouffeurs de clebs, stripteaseuses, et de bébés qui s'appellent juste Bébé. Mais en même temps, il n'y a pas de critères géographiques qui jouent: c'est partout et nulle part en même temps. Pas d'ancrage dans l'espace ni dans le temps d'ailleurs. En fait, ce qui fait la qualité du livre, loin au-dessus des deux autres du point de vue style, c'est le côté ultra minimaliste, propre, immaculé, concis et précis comme un méga-silencieux sur un putain de flingue puissant. En toute délicatesse, Miller te raconte les pires histoires du monde, les trucs les plus atroces, que même quand ils commencent bien, tu sens le truc venir et tu te mets à chouiner à l'intérieur parce que t'aimerais bien que ça parte pas par-là putain mais au fond, c'est pour ça que c'est bon: au final, c'est là qu'on veut aller, même si c'est pas très avouable.  

Crimes in Southern Indiana, Frank Bill (2011)
Knockemstiff, Donald Ray Pollock (2009)
Animal rights and Pornography, J. Eric Miller ( 2004)