lundi 27 juillet 2015

Ecran total

Kiss of death, le vieux, est un film plein de sourcils - en tout cas à mon niveau d'analyse. Histoire d'un gangster-repenti-devenu-indic (la moralité prend parfois des détours complexes, voire mortels, huhu) rattrapé par son destin une fois rangé des voitures, Dans une tension style "mais sait-il que nous savons qu'ils savent qu'il sait? Ou quoi?", on voit un Victor Mature jouer des sourcils jusqu'à plus soif face à un Richard Widmark bien sociopathe - sourcils en mode Cagney et yeux exorbités. On me dira que je suis obsédée par le poil facial mais ce n'est pas sans raison: il y a un plan, vers la fin, d'un rideau épais dans l’entrebâillement duquel on voit s'approcher deux yeux qui finissent par prendre toute la place: la lenteur silencieuse, le focus progressif et les sourcils qui partent vers le ciel: tout ça fait quelque chose à ma pulsion scopique déjà toute moite.

Mais celle-ci n'était pas quitte pour autant car The Captive est à cet égard plutôt dérangeant. Au départ d'une histoire d'enlèvement et de réseau pédophile (L.L. likes this), on tombe dans un truc assez bizarre de superpositions de caméras, d'images et de miroirs - qui regarde qui à travers quoi, on ne sait plus très bien. Autour de ce foyer d'images réfractées et démultipliées, on retrouve un ensemble de pièces de puzzle parfois difficiles à mettre en place vu le foutoir temporel, et les courtes indications censées nous replacer sur une ligne du temps semblent parfois n'être là que pour brouiller encore plus les choses. Pour le reste, il y a une épaisseur neigeuse à l'ensemble qui ensable tout, les émotions, le psychodrame, une vie immobile sans armes ni violence: ça ressemble plus à une tranche de vie qui aurait mal tourné qu'à une enquête policière de haut-vol. 

J'ai donc continué sur ma lancée avec The Devil's knot, autre film d'Egoyan autour d'un fait divers et d'une enquête. Ici aussi, le meurtre a lieu en prologue, sans vraiment de dramatisation, une disparition sans faire de bruit, puis des corps retrouvés dont les cris des parents sont étouffés. Le reste est surtout un film de procès qui met en scène une communauté plutôt qu'un crime: comment l'étrange et l'anormal est-il rapidement assimilé au dangereux. Faux-témoignages, enquête bâclée, juge totalement partial, parce qu'il n'y a pas que les Afro-Américains qui s'en prennent plein la gueule du côté du South, non, les gens un peu trop blafards aussi (comme on l'a appris avec True Blood d'ailleurs).  Ça pourrait presque rentrer dans mon méta-cycle de redneck pulp, tiens.

Je me reposai enfin de toute cette scopie avec un petit film graphique dont je n'avais jamais entendu parler: Scott Pilgrim VS the World, avec ce cher Jonathan Cera qui me semble parfois atteint de Benjaminbuttonisme - sérieux, c'est quand qu'il vieillit? - mais qui rappelle à toute personne de plus de trente ans qu'une petite tendance pédophile sommeille en chacun de nous et qu'on aimerait parfois aussi se faire une petite tranche du jeunot - qui ne doit pas avoir plus de 10 ans aujourd'hui si mes calculs sont bons. Bref. C'est hyper bien foutu, visuellement et musicalement, avec plein de références geek-o-musicalo-teenage trop choutes, un esprit parodique bien drôle, une intrigue meugnonne comme tout, un montage en forme de manga enfin tout ça quoi.

Kiss of death, Hathaway, 1947
The Captive, Egoyan, 2014
Devil's knot, Egoyan, 2013
Scott Pilgrim VS the World, Wright, 2010

vendredi 24 juillet 2015

Le contrôleur sonne toujours deux fois ( mais il peut crever pour que j'y ouvre)

On en rêvait, ils l'ont fait: la loi permettant le contrôle des chômeurs  sans préavis à été votée. Même si on s'y attendait,  il y a deux choses dans cette histoire qui me chiffonnent.

La première, c'est l'absurdité du point de vue pratique : une des raisons pour lesquelles on prévient d'une visite  c'est pour que la personne concernée se trouve à son domicile - et pas pour qu'elle ait le temps de cacher ses éventuels juifs dans le grenier. Sans avis préalable, ces apprentis gestapistes risquent fort de trouver porte close. Je n'ai dès lors qu’un conseil: chômeurs,  ne restez pas chez vous! Allez faire un tour au parc, prenez un bol d'air, discutez le bout de gras avec votre boucher, prenez le temps de faire des études comparatives du prix des patates chez Lidl et Aldi, respirez l'odeur des fleurs, mettez vous à la natation ou à l’arménien oriental;  de toute façon, tout le monde sait qu'un bon chômeur est un chômeur actif et qu'on ne trouve pas un boulot en restant chez soi. 

L'aspect débile de cette mesure potentiellement génératrice d’un foutoir Brazilesque étant assez clair, reste une deuxième chose, qui est plus grave, c'est le mécanisme invasif que ça représente et l'ancrage dans une conception de la transparence plutôt dangereuse. Un des arguments que j'ai pas mal lu consiste à dire que ceux qui n'ont rien à se reprocher n'ont rien à craindre - et par extension, que ceux qui s'y opposent sont d'une manière ou d'une autre coupables.

Cette conception n'est pas nouvelle, qui lie vertu et transparence. Elle a déjà fait débat pendant la renaissance - et je me réfère ici à l'analyse  de Thomas Berns  qui travaille sur le concept de transparence, en m'excusant pour les raccourcis. Ça consiste en gros à dire que le désir de garder un pan de notre vie privée et hors du contrôle de l'état signifie forcément qu'on a quelque chose à se reprocher. L'ordure qui dirige Google justifie d'ailleurs la surveillance généralisée par le même concept. 

A ceci s'ajoute une putain de morale judéo-chrétienne à la con qui associe le secret à la faute, à ce dont on doit avoir honte - tout ça via des montages ultra compliqués de pathologisation et de contrôle de la sexualité entre autres (Foucault is in da hood) et qui finit par faire s’équivaloir vie privée = secret= sale.  Or le secret, le fait qu'une partie de nos existences échappe à la scrutinisation étatique n'a rien  à voir  avec une chose honteuse que l'on cherche à cacher, ni avec des pratiques illégales. C'est le noyau même de notre être,  de ce qui fait de nous des individus à part entière, c'est un des derniers lieux où nous sommes libres.

Face à une machine bureaucratique dont la débilité  semble ne connaître aucune limite, la seule résistance est éthique,  c’est celle d’être humains et dignes, de refuser cette intrusion permanente dans nos vies. En tant que chômeurs, nous avons le droit de refuser ces contrôles; en tant que citoyens, je pense que nous en avons le devoir et ce, que nous ayons quelque chose à "cacher",  à nous "reprocher" ou non.

En ce qui me concerne, il est hors de question que des ersatz d'agents Securitate débarquent chez moi sans prévenir pour foutre le nez dans mes factures,  compter les brosses à dents dans ma salle de bain ou les poils de cul différents dans la bonde de la douche. Ils peuvent s'amuser à aller chercher des mandats chez un juge d'instruction - qui n'a certainement rien d'autre à foutre que de signer des autorisations d'intrusion à des kgbistes en herbe - et ils reviendront me voir après. Par contre, ça risque d'être pile au moment où j'ai piscine, c'est ballot...

samedi 11 juillet 2015

The ocean doesn't want me (today)



Mali Losinj, 2014
Peter Kernel - High Fever
Ddash - Sue me Girl
Dan Deacon - Learning to relax
Passion Pit - Lifted up (1985)
Belle & Sebastian - Nobody's Empire
Calexico - Follow the river
Donnie Trumpet - Players Holiday
Inventions - Springworld
Tom Waits - The ocean doesn't want me



vendredi 10 juillet 2015

Ecran total

Un bon exorcisme roumain de par derrière les fagots, quoi de mieux pour commencer ma semaine? Mungiu n'est certes pas le plus riant des cinéastes du renouveau roumain récent, mais bon, y'a pas que la déconne dans la vie, mon p'tit. On retrouve dans Au-delà des collines l'amitié (et plus si...) de deux jeunes femmes au centre d'une histoire qui se déroule dans un monastère (SUR une colline en fait, titre géographiquement confusionnant) bien paumé du fin fond de la Roumanie. Exilée en Allemagne, une petiote revient récupérer sa BFF d'orphelinat parce qu'elle est tristoune et la retrouve brainwashé dans un monastère qu'on pourrait qualifier de secte, mais que toute personne qui a un peu traîné son cul dans les Balkans identifiera comme tout simplement orthodoxe (si vous pensiez que le catholicisme était hardcore, essayez l'Eglise Orthodoxe Serbe). Tout ne se passe pas comme prévu: l'intéressée a entre temps trouvé Dieu et ne veut pas se retrouver à gasterbeiter à servir des frankfurt wurst sur un vieux raffiot teuton. Par une logique aussi mystérieuse qu'implacable, elles restent donc toutes les deux: avec un effondrement mental pour l'exilée qui va tourner en satanisme à deux balles mal interprété et certainement mal soigné. On reste dans une approche tout à fait extérieure intéressante qui empêche le film de s'engoncer dans un foutoir spirituel dont il serait difficile de sortir et on reste à un niveau très frontal d'incommunicabilité. Tout est d'ailleurs ultra silencieux, chuchoté à voix basse, les yeux baissés, en contraste avec les crises d'hystérie qui font presque du bien dans le coton poisseux ambiant.

Toujours dans le lavage de cerveau, je suis tombée sur l'étonnant White dog (qu'on a du mal à ne pas voir en diptyque avec White God si on suit la blague de l'insomniaque dyslexique agnostique-malgré-lui de DF Wallace*), histoire d'un chien dressé pour tuer les noirs qu'on va tenter de rééduquer. Ni vraiment gore, ni vraiment politique, c'est en plus un film qui finit mal. Niveau visuel, assez génial, tant dans l'animalier que dans l'ambiance générale. Le propos de fond est parfois un peu bizarre: face à une personne irrécupérable, faut-il vraiment insister? D'autant plus qu'un chien a l'avantage de pouvoir être occis sans trop de frétillements de la part du voisinage; mais ici non, parce qu'il serait trop facile de tuer tous les racistes (heuuuuu) et qu'il faut donc envers et contre tout rééduquer. Cette prise de position étrange se trouve d'ailleurs être une bien belle erreur de jugement: même si le chien redevient mignon tout plein tendance CDH à force de burgers, il finira tout de même par se retourner contre son maître lookalike, offrant une fin en demi-teinte: genre c'est bien mais non en fait. Bref, un film pour faire de la philosophie.

Dead Ringers m'a parfois un peu échappé (je suis nulle en facial recognition) mais m'a intriguée: c'est à la fois beaucoup moins et beaucoup plus organique que ce que j'ai déjà vu du cher Cronenberg. En fait, c'est le film que j'aurais voulu avoir sous la main quand je pensais à faire une étude de l'anticybernétisme heideggerien dans le rapport homme/machine des premiers Cronenberg: c'est là que l'organique devient vraiment  machine au sens propre du terme. L'intrigue de fond (des jumeaux qui jouent à cache-cache avec une cliente dépressive) n'est pas forcément le truc le mieux trouvé du monde, mais le cadre de la clinique de fertilité, la femme mutante à trois cervix et surtout la collection d'outils gynécologiques pour femmes modifiées est assez énorme. Il y a peu de ces visions placento-organico-goresques qu'on voit habituellement, pas de trucs qui dégoulinent ou qui poussent, pas de protubérances goitreuses puisque tout est à l'intérieur. Intérieur qui est d'ailleurs déjà rectifié, remanié et qui demande donc une dextérité particulière, des outils qui ressemblent à des instruments de torture (mon utérus en fait encore des cauchemars) style ça
Gloup!
qui sont tout à la fois complètement barbares, mécaniques, métalliques, mais aussi totalement organiques, animaux dans certaines formes, sortes de prothèses monstrueuses d'un exo-squelette de savant fou. Bref, c'est assez fascinant et il faudrait voir comment ça se place dans l'évolution matière/machine de l'ensemble de l'oeuvre.

Dupa dealuri, Mungiu, 2012
White dog, Fuller, 1982
Dead Ringers, Cronenberg, 1988

* 'Mario, what do you get when you cross an insomniac, an unwilling agnostic and a dyslexic?'
' I give'
'You get somebody who stays up all night torturing himself mentally over the question of whether or not there is a dog.'
David Foster Wallace, Infinite Jest, p.41. 

jeudi 2 juillet 2015

Gaia is a bitch!

En voilà un genre qu'il est drôle: sans le faire exprès (ou presque), j'ai vu dans la même semaine une série de films qu'on pourrait qualifier de slasher écolo - quoique Google ne semble pas être d'accord avec le concept, mais foutre! En gros, il s'agit de films dans lesquels des humains trop méchants se font niquer la race par une Mère Nature qui en a marre qu'on lui balance des déchets à la gueule. 

The Long Weekend est à cet égard parangonique (?): un petit couple bien mignon se met en route pour un sympathique weekend de camping au bord de la mer. On ne sait pas trop bien où on est, alors ils écrasent un kangourou dans les 15 premières minutes, histoire d'éviter les malentendus. Au départ, on espère un bon vieux slasher rednecko-rural, vu la scène classique de l'arrêt dans une station essence remplie de fermiers patibulaires aux pupilles grasses qui répondent de façon cryptique-mais-inquiétante à notre héros jovial "Hiiiin, vous allez camper là-bas.... connais pas.... gnééé". On attend donc à chaque instant qu'une fine équipe en mode Deliverance fasse son entrée, alors que s'installe une tension palpable du milieu naturel, houuuu. En fait, il n'en est rien: le seul tueur, c'est la nature qu'est pas bien aise qu'on l'envahisse comme ça. Il faut dire que le type ne fait vraiment aucun effort: il tire sur tout ce qui bouge, jette ses bouteilles partout sans même les ramener à la bulle à verre, canarde un marsouin qui avait rien demandé, bref, c'est un vrai salopard. Il est d'ailleurs aussi teigne avec sa gonzesse qu'avec son habitat - ce mufle mérite donc bien de crever dans d'atroces souffrances. Des invasions de fourmis, des opossums acrimonieux, un aigle pas très cool et des cris bizarres dans la nuit: tout ça finit par porter ses fruits et pousser notre petit couple à bout et lorsque le marsouin censément mort se met à les poursuivre insidieusement, c'en est trop.  Ah, les joies d'un weekend à l'air pur!

Dans le même registre, Frogs est plus frontal:  on sait à l'avance qu'il ne sera pas question de la troisième topique lacanienne. Des grenouilles tueuses, donc, mais pas que, puisque les grenouilles sont ici les chefs d'une armée grouillante pas dégueu, qui telle la légion étrangère ratisse large et souvent en dépit des classifications animales de base: batraciens, reptiles, rampants divers: si c'est gluant, c'est dedans! Tout ce petit monde va se venger d'un saligaud de vieux sudiste qui rejette allègrement des déchets toxiques dans les marais. Des petits meurtres collatéraux, puis un étau qui se resserre tandis que les grenouilles montent au filet pour anéantir l'anachronique fossile (qui est aussi raciste par-dessus le tas). On remarque un bel effort pour rendre les grenouilles flippantes: finalement, elles ne demandent qu'à sauter, les pauvres (merci à gridoon sur imdb pour cette analyse affûtée). Les autres animaux ne sont pas en reste, qui arrivent finalement à faire presque peur malgré des moyens plutôt limités.

Avec Slugs (en VO: La muerte viscosa) on glisse (haha) déjà plus vers le film d'envahisseurs/insectes maléfiques classiques, mais l'explication écologiste est quand même là: c'est la faute à la décharge géante! Rendre des grenouilles effrayantes, voilà bien un truc pas facile, mais essayez un peu avec des limaces: d'accord c'est mou et dégueulasse, mais vu la rapidité du truc, on a du mal à les prendre au sérieux. Pourtant le film fonctionne presque bien. L'absolue nullité des dialogues et des jeux d'acteurs fait parfois penser à un exercice de style rohmerien, mais le grouillement gélatineux constant (à la limite du vers, ce que les puristes trouveront un peu dommage) finit par porter ses fruits.  Au niveau sonore, surtout, on aime le bruit des limaces un matin d'été frais, c'est bucolique.

Long Weekend, Eggleston, 1978
Frogs, McCowan, 1972
Slugs, Simon, 1988