vendredi 10 juillet 2015

Ecran total

Un bon exorcisme roumain de par derrière les fagots, quoi de mieux pour commencer ma semaine? Mungiu n'est certes pas le plus riant des cinéastes du renouveau roumain récent, mais bon, y'a pas que la déconne dans la vie, mon p'tit. On retrouve dans Au-delà des collines l'amitié (et plus si...) de deux jeunes femmes au centre d'une histoire qui se déroule dans un monastère (SUR une colline en fait, titre géographiquement confusionnant) bien paumé du fin fond de la Roumanie. Exilée en Allemagne, une petiote revient récupérer sa BFF d'orphelinat parce qu'elle est tristoune et la retrouve brainwashé dans un monastère qu'on pourrait qualifier de secte, mais que toute personne qui a un peu traîné son cul dans les Balkans identifiera comme tout simplement orthodoxe (si vous pensiez que le catholicisme était hardcore, essayez l'Eglise Orthodoxe Serbe). Tout ne se passe pas comme prévu: l'intéressée a entre temps trouvé Dieu et ne veut pas se retrouver à gasterbeiter à servir des frankfurt wurst sur un vieux raffiot teuton. Par une logique aussi mystérieuse qu'implacable, elles restent donc toutes les deux: avec un effondrement mental pour l'exilée qui va tourner en satanisme à deux balles mal interprété et certainement mal soigné. On reste dans une approche tout à fait extérieure intéressante qui empêche le film de s'engoncer dans un foutoir spirituel dont il serait difficile de sortir et on reste à un niveau très frontal d'incommunicabilité. Tout est d'ailleurs ultra silencieux, chuchoté à voix basse, les yeux baissés, en contraste avec les crises d'hystérie qui font presque du bien dans le coton poisseux ambiant.

Toujours dans le lavage de cerveau, je suis tombée sur l'étonnant White dog (qu'on a du mal à ne pas voir en diptyque avec White God si on suit la blague de l'insomniaque dyslexique agnostique-malgré-lui de DF Wallace*), histoire d'un chien dressé pour tuer les noirs qu'on va tenter de rééduquer. Ni vraiment gore, ni vraiment politique, c'est en plus un film qui finit mal. Niveau visuel, assez génial, tant dans l'animalier que dans l'ambiance générale. Le propos de fond est parfois un peu bizarre: face à une personne irrécupérable, faut-il vraiment insister? D'autant plus qu'un chien a l'avantage de pouvoir être occis sans trop de frétillements de la part du voisinage; mais ici non, parce qu'il serait trop facile de tuer tous les racistes (heuuuuu) et qu'il faut donc envers et contre tout rééduquer. Cette prise de position étrange se trouve d'ailleurs être une bien belle erreur de jugement: même si le chien redevient mignon tout plein tendance CDH à force de burgers, il finira tout de même par se retourner contre son maître lookalike, offrant une fin en demi-teinte: genre c'est bien mais non en fait. Bref, un film pour faire de la philosophie.

Dead Ringers m'a parfois un peu échappé (je suis nulle en facial recognition) mais m'a intriguée: c'est à la fois beaucoup moins et beaucoup plus organique que ce que j'ai déjà vu du cher Cronenberg. En fait, c'est le film que j'aurais voulu avoir sous la main quand je pensais à faire une étude de l'anticybernétisme heideggerien dans le rapport homme/machine des premiers Cronenberg: c'est là que l'organique devient vraiment  machine au sens propre du terme. L'intrigue de fond (des jumeaux qui jouent à cache-cache avec une cliente dépressive) n'est pas forcément le truc le mieux trouvé du monde, mais le cadre de la clinique de fertilité, la femme mutante à trois cervix et surtout la collection d'outils gynécologiques pour femmes modifiées est assez énorme. Il y a peu de ces visions placento-organico-goresques qu'on voit habituellement, pas de trucs qui dégoulinent ou qui poussent, pas de protubérances goitreuses puisque tout est à l'intérieur. Intérieur qui est d'ailleurs déjà rectifié, remanié et qui demande donc une dextérité particulière, des outils qui ressemblent à des instruments de torture (mon utérus en fait encore des cauchemars) style ça
Gloup!
qui sont tout à la fois complètement barbares, mécaniques, métalliques, mais aussi totalement organiques, animaux dans certaines formes, sortes de prothèses monstrueuses d'un exo-squelette de savant fou. Bref, c'est assez fascinant et il faudrait voir comment ça se place dans l'évolution matière/machine de l'ensemble de l'oeuvre.

Dupa dealuri, Mungiu, 2012
White dog, Fuller, 1982
Dead Ringers, Cronenberg, 1988

* 'Mario, what do you get when you cross an insomniac, an unwilling agnostic and a dyslexic?'
' I give'
'You get somebody who stays up all night torturing himself mentally over the question of whether or not there is a dog.'
David Foster Wallace, Infinite Jest, p.41. 

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