vendredi 28 juin 2013

Ecran Total

En regardant Tenebrae, je me rends compte qu'Argento n'aime décidément pas les animaux: alors que dans Inferno une bande de chats maléfiques dignes de la vieille folle aux chats des Simpson semaient le trouble, on voit ici un doberman vicelard à crever, qui, en plus de grimper des clôtures de 10 mètres, précipite une pauvre fille droit dans la gueule du loup - un serial killer calviniste. De même, Dario n'a pas l'air d'aimer beaucoup les bouquins: c'est de nouveau un livre qui est à l'origine de ce bain de sang - on apprécie particulièrement cette superbe giclée ( bras coupé à la hache).


Pendant ce temps, à Vera Cruz:  rien de bien fascinant, si ce n'est le sourire super bizarre de Burt, qui fait bien peur - style Belmondo sous acide. Gary Cooper fait un peu gamin paumé sur le dernier plan - avec son ptit gilet, son ptit pantalon remonté et son ptit pistolet, l'est tout chou. Le plan avec le petit groupe d'enfants mexicains est particulièrement dément - y zont des ptits chapeaux.

Mon épopée Jesuseque m'a donné envie de revoir La religieuse, dont je ne me rappelais que de la première partie ( dans le premier couvent). J'avais zappé la suite: pauvre Suzanne, qui ne tombe que sur des gens tout chelous - et si les incessantes cloches de la première partie laissent présager le pire, les petits oiseaux qui chantent de la deuxième ne sont pas vraiment un heureux présage. Saloperies. Très belles lumières, un peu primitives flamandes.

Toujours dans le registre individu-normal-rendu-fou-par-des-religieux-obscurs, The Master est un peu un truc de malade, que je dois revoir parce qu'il est un peu touffu en terme de lacanisme. J'adore Joaquin Phoenix, même avec un bec de lièvre imaginaire et j'ai bien kiffé le Maître, qui fait super peur. De nouveau, lumières très rembrandtiennes (-euses?) et une bande-son dont je n'arrive pas à évaluer l'apport ( révolutionnaire? toute pourrie? sans rapport? contrepoint?). A creuser.

Tenebrae, Argento, 1982
Vera Cruz, Aldrich, 1954
La Religieuse, Rivette, 1967
The Master, Anderson, 2012

lundi 24 juin 2013

What would Jesus do?

Probablement un travelling avant super rapide sur une paire d'yeux bleu lagon.

Je sors d'une micro-rétrospective sur Jesus Franco qui a comblé un vide assurément existentiel.

Le sadique est une bonne entrée en matière, puisqu'on y retrouve une série d'éléments sans qu'aucun ne soit trop proéminent: un peu horrible, un peu érotique, un peu jazzy. Une chose perturbe cependant, c'est l'incessante utilisation du travelling avant sur les visages des personnages et de gros plans hyper macro qui fatiguent un peu. Pour ce qui est du scénario, rien de bien folichon - des meurtres, un baron étrange qui dort dans son caveau, une histoire d'amour secrète et un coupable qui finit englouti. Comme le tout se passe en Allemagne (?), on peut aussi y apercevoir un panneau mentionnant " Achtung! Kurve!". C'est une sorte de blague polyglotte.

On retrouve cette obsession du travelling avant dans Les nuits de Dracula, mais qui s'assortit ici d'un élément récurrent: l'obsession pour les yeux, surtout bleus. Adaptation classique du livre peuplée de héros au regard pâle, dont la palme revient à Klaus Kinski en schizophrène/activiste viennois. Pas beaucoup d'érotisme ici, mais plein d'action - grosse fight avec une bande d'animaux empaillés, attaque de convoi de gitans à base de gros cailloux et giclage de sang dans les yeux. Il y a une certaine utilisation des lumières qui fait parfois penser à des scènes de théâtre.

Vampyros Lesbos est assez similaire dans la structure au comte Dracula ( rencontre initiale/asile psychiatrique/schizophrène en goguette/possession brisée par un pieu bien placé) sauf qu'on est dans une version clairement érotique du mythe. Toutes les scènes d'action sont habilement remplacées par des scènes d'amour entre les deux héroïnes ou par les scènes de strip-tease de l'héritière de Dracula ( visiblement, si le comte peut se permettre de se tourner les pouces en se contentant d'être un vampire, sa progéniture postmoderne en est réduite à s'exhiber pour payer son loyer, chienne de vie). On retrouve la musique jazz parfois mélangée à des tonalités plus orientales, parfois mixée avec des sons plus typés "angoisse", mais toujours très funky. Ça se passe à Istanbul, où tout le monde parle allemand (normal) avec un débit à la Herzorg ( flippy!).

Lettre d'amour d'une nonne portugaise est toujours dans un registre érotique, probablement encore plus explicitement, mais dans un univers complètement différent - le Portugal, l'Inquisition, un couvent. Un scénario qui ressemble à celui de La religieuse, mais en beaucoup plus nasty. Au niveau des images, Jesus se calme enfin avec le travelling à tout va, mais pas avec les yeux. Le couple maléfique Mère Supérieur/Padre est diabolique, et les scènes des tortures intéressantes. Il y a une brève apparition du Diable, qui a les mains bien poilues et une petite mèche rebelle sur le front ( entre Tintin et Elvis). 

Jack l'éventreur est encore autre chose: ultra sobre ( pratiquement aucune musique, tons gris/vert d'eau, meurtrier silencieux). Pour être parfaitement honnête, à ce stade-là, je commençais à sombrer tout doucement et ai un peu zappé la fin du film. Mais une chose est sûre: Jesus a un méga problème avec les yeux: l'aveugle du début, l’œil dans le sac de jute, les yeux révulsés de la prostitué sur son lit: tout ça mijote quelque chose. 

La mano de un hombre muerto, 1962
Les nuits de Dracula, 1970
Vampyros lesbos, 1971
Die Liebesbriefe einer portugiesischen Nonne, 1977
Jack the ripper, 1976

mercredi 19 juin 2013






 










Sibiu - Sighisoara, Roumanie, 2013

Rudy Zygadlo - Waltz for Daphnis



mardi 18 juin 2013

Ecran total

Dead Man commence comme ça: un type est dans un train, et à chaque fois qu'il ouvre ou ferme les yeux, y'a des gens bizarres dedans. On se dit " Fichtre! Un soir, un train!" D'autant plus que le film s'ouvre sur une citation de Michaux. Mais en fait non. C'est un film sur un poète-comptable qui a perdu son oeuvre dont va l'instruire un indien goguenard. De nouveau, casting who's who, avec Crispin Glover en petit nerveux charbonneux, Alfred Molina en missionnaire obséquieux et Iggy Pop en gentille petite fille. La BO de Young fonctionne très bien, dans le genre western arty.

J'ai appris récemment la différence entre film d'infectés et film de zombies. Perfect sense est un film d'infectés, mais qui n'a rien à voir avec des zombies. Pour une raison inconnue, le monde est frappé par une épidémie qui prive l'homme de ses sens - un à la fois, c'est plus drôle. Dans ce bordel, un cuisinier et une épidémiologiste vont tomber amoureux et apprendre à se parler sans les mains, trop fort. C'est assez mélo dans l'ensemble et construit de façon assez binaire mais finalement pas complètement con - surtout dans la gradation de la perte des sens et les possibilités d'y suppléer.

Une autre découverte récente, c'est l'énigme Dogma. Pour moi, c'était surtout un film potache avec Ben Affleck. Mais je sentais confusément qu'il y avait plus. J'ai donc été enchantée d'apprendre que c'était aussi une école cinématographique calviniste. Comme souvent, j'arrive un peu trop tard, et c'est déjà fini, fichtre. Reste une série de films qui pourrait devenir un fil rouge. J'ai vu Julian Donkey Boy, un sympathique film à la sauce consanguine. Ambiance Gummo, irrespirable et candide à la fois, manchots, albinos et schizos,  Korine reste dans le registre freak mais pas que. Les séquences autour de la religion sont assez belles, parfois illuminées, parfois humaines ( parfois un peu flippantes) mais en tout cas créent des plages de douceur. Pour le reste: caméra en vrac, avec un bon gros grain de film bien gras, des séquences assez cool en instantanés et surtout, surtout, Werner Herzog en père de famille qui dort avec son masque à gaz. Ach.

Dogma un jour, dogma toujours? Non, The Hunt est carrément plus regardable dans le genre. Je sors d'un polar scandinave, un de plus sur le thème " petite-bourgade-tranquille-mais-pas-que" qui m'a un peu déçue ( Lackberg) du coup, je savais déjà que ça allait mal finir, mais dans la joie et la bonne humeur glacées. Il s'agit d'un type qui est du jour au lendemain accusé d'abus sur des enfants, dans une petite bourgade tranquille mais pas que. La vie de nos amis du Grand Nord y est dépeinte à grands renforts de séquences de plongeons dans l'eau glacée et de soirées de chasse qui ressemblent fort à celles du café de consanguins de Calvaire. On se doute donc bien que ces types-là seront pas bien sympas quand viendra l'heure. Ce qu'on comprend moins, c'est qu'un type soit assez con pour partir à la chasse avec lesdits types après s'en être pris plein la gueule. Pas bien finaud, le monsieur. L'escalade dans l'accusation est parfois un peu unilatérale - qu'y sont méchants les adultes, pis qu'y sont gentils les enfants - mais ça a le mérite de montrer qu'il existe des cas fabriqués entièrement par les adultes responsables. Ce que ça révèle des désirs latents de ces gros dégueulasses, seul Sigi le sait.

Dead Man, Jarmusch,1995
Perfect sense, Mac Kenzie, 2011
Julian Donkey boy, Korine, 1999
The Hunt, Winterberg, 2012

lundi 17 juin 2013

samedi 15 juin 2013

Ice Age 3.

J'ai enfin achevé de regarder - dans le désodre, par amour du déconstructionnisme- la trilogie glaciaire de Haneke, un peu pour me rafraîchir par ces temps caniculaires, un peu parce que j'aime me faire souffrir. L'ensemble est basé sur trois faits divers de la fin du 20e siècle. Je passe sur une analyse d'ensemble, de style et de philosophie animalière, je suppose que des gens éminents en parlent mieux que moi.

Le septième continent est construit autour de la montée du sentiment d'insignifiance d'une famille ordinaire dans laquelle les failles se révèlent à peine à la surface. La narration se fait par plans serrés, anonymes ( cadrés sur des parties du corps, centrés sur des gestes anodins et répétés), avec peu plans de visages, avec un récit pris en charge par le biais des lettres écrites aux parents. Pas de chichis, peu de violence, à peine quelques larmes au car wash. La dernière partie est assez hallucinante dans son propos et dans sa forme: destruction des tous les biens de la famille par ses propres membres, de façon méthodique, froide et montée à un rythme quasi-respiratoire. Seule la vision des petits poissons s'agitant sur le sol finira par faire resurgir le réel. 

Benny's video est probablement plus classique dans sa facture et s'organise surtout autour du rapport entre vu et filmé, la médiation par la caméra. De nouveau, famille ordinaire et tragédie qui a lieu sans bruit - ou presque - et qui n'est visible que via une caméra qui filme en continu. Ici, on vise clairement la caméra comme médium de reportage, puisque le film s'ouvre et se ferme sur une sympathique vidéo amateur d'une fête de famille ( fait bien flipper!). C'est aussi un bon film de mise en garde contre les dangers de laisser les enfants jouer avec le fusil à assommer les cochons.

71 fragments d'une chronologie du hasard est probablement mon préféré. Je n'ai pas compté s'il y a effectivement 71 morceaux, mais la construction en fragments décousus, sans voix off ou sans explication diégétique qui les lierait est vraiment géniale dans l'alternance des divers types de fragments et dans leur assemblage: fragments de gestes quotidiens répétés, fragments d'images d'archives d'information télévisées, fragments de conversation téléphonique, morceaux silencieux. La résolution de l'assemblage étant la tuerie finale  - annoncée depuis le début - qui illustre cette façon démente qu'a Haneke de sortir du champ/contrechamp dans la représentation de la violence: il ne montre ni le responsable, ni la victime et laisse le sang se répandre entre les deux plans. 

De l'ensemble se dégage surtout l'idée de la violence ordinaire, contenue, sobre, froide et décidée. Rien en paraît sous les masques, rien ne transparaît à la surface et tout reste dans une maîtrise à la limite de l'obsessionnel - c'est vrai pour le fond, mais c'est aussi vrai pour la forme. Chaque plan construit comme une photo, chaque son isolé, nettoyé, les gestes précis, sans bavures, le montage impeccable. Un petit côté calviniste chez Haneke qui fait un peu froid dans le dos - aussi. 

vendredi 14 juin 2013

Sound of silence



J'ai eu la chance d'assister par hasard à une représentation de Continu, un spectacle de Sasha Waltz (and friends?), ce qui ne me dit pas grand chose étant donnée mon inculture globale de la danse moderne. J'ai toujours un peu de mal avec le ballet, mais je me soigne. Je ne pense pas avoir tout compris à ce qui se passait sur scène d'un point de vue herméneutico-structuraliste, mais j'ai noté quelques trucs qui m'ont beaucoup plu.

- L'opposition entre les deux parties, l'une très froide, métallisée aussi bien dans le son que dans le décor (une sorte de grosse boîte noire) et stridente et l'autre beaucoup plus douce, organique.
- Une scénographie hyper minimale mais hyper efficace -surtout dans l'utilisation des lumières- et qui semble pouvoir être transportable et adaptable, ce qui est à mon sens non seulement super pratique, mais aussi très intelligent dans la conception rapport à l'espace ( sans tomber dans du théâtre de tréteaux-isme cheap).
- J'ai l'impression pour la première fois de saisir une sorte de narration. Soit parce que c'était clair, soit je deviens super forte ( yay me!)

Mais ce qui m'a vraiment frappée, sidérée, c'est la façon dont le mouvement est sorti de son carcan visuel et éphémère pour devenir audible et visible dans son déroulement. Il y a une utilisation du silence qui fait entendre, au-delà des respirations des danseurs, les mouvements effectués en groupe, de façon presque imperceptible mais bien réelle et qui ancre le tout dans une logique corporelle très immédiate pour le spectateur- dont celui qui n'y entrave que dalle, comme votre humble légumineux. La fin de la deuxième partie utilise un dispositif qui permet de suivre le mouvement des danseurs à la trace, puisqu'ils dessinent littéralement en bougeant. Ce dispositif se met en place presque sans rien dire et révèle à la fin une écriture du mouvement dans son déploiement qui est juste trop bien pensée. 

mercredi 5 juin 2013