dimanche 30 août 2015

The little drummer boy

Je m'intéressais récemment au concept boîte à rythme vivante en constatant qu'il existait un nom pour cet être fabuleux: c'est tout simplement un batteur. Histoire de pas avoir l'air d'une buse, je me suis documentée: mais qu'est-ce que ce pa-ra-pa-pam-pam?

Pour commencer, apprendre la batterie, c'est pas chié. Whiplash nous l'enseigne à grands coups d'Actor's studio dans les dents (je parle bien sûr de l'émotion n°3, "constipation artistique" qui domine l'ensemble du jeu de Teller et de l'émotion n°14, "mentor nazi exigeant" qui couvre ce que fait Simmons). Ce type de direction pas forcément subtil est finalement en accord avec l'idée de fond du film: l'art, c'est la souffrance, c'est une chose qui vient des tripes et qui ne peut que faire mal, très mal. Si ça fait du bien, c'est que c'est mauvais. Du coup, bah, le film fait un peu mal. Je ne parlerai pas du point de vue musical/technique puisque je n'y connais rien, mais il y a quelque chose de fondamentalement vicieux dans l'histoire. A partir de la configuration de base (un élève nigaud, le niais Neiman, débarqué de son Midwest, des barbes de maïs plein les cheveux et des étoiles plein les yeux + un mentor tout en noir à la main de fer et à la bite en acier), il n'y a pas mille issues: soit la méthode échoue soit elle réussit à faire de notre jeunot une bête de scène. Il y aurait bien eu une troisième voie et c'est ce que j'ai espéré pendant une partie du film, mais non. On rejoint une vision assez répandue du génie qui en fait un état de grâce piloté par la souffrance humaine. On sait depuis Therapy? (et Simone) que les gens heureux n'ont pas d'histoire, et que les Vrais Créateurs sont des êtres toujours blafards, jamais contents, exsangues d'une existence vouée à l'Art qui les tue à petit feu. Comment faire, donc, quand on est une personne normale, pour atteindre cet état tellement envié de Poète Maudit? Fastoche: il faut se créer soi-même les conditions de son propre supplice et bim, voilà le Génie qui pointe son nez. Trop coule! Alors que la maîtrise d'un instrument à un niveau d'excellence requière un certain effort, parfois douloureux, j'en suis consciente; qu'il existe un certain nombre de tarés qu'on a enchaînés à un piano à l'âge de trois ans avec pour seul horizon une place au Reine Elizabeth, c'est évident, de là à en faire un récit épique de volonté de puissance nietzschéenne, c'est un peu lamentable - et c'est n'avoir pas compris grand chose à la volonté de puissance, en passant. Il suffit d'ailleurs d'imaginer le même film, mais avec un flûtiste et c'est tout de suite beaucoup plus ridicule.

D'ailleurs, nous retrouvons notre batteur whiplashé, ce pauvre Neiman 10 ans plus tard dans Sound of Noise: percussionniste au Philarmonique de Trifouillis, il passe ses soirées à attendre l'unique coup de cymbale de la mesure 156 du concerto n° 145 bis de Haydn. Quel pied! Du coup, il rejoint un groupe de types louches qui font de la musique avec des vieux pleins d'hémorroïdes: ce sont donc des terroristes, mais faut pas prendre la grosse tête, ces derniers temps, il suffit de faire pipi devant un Delhaize pour faire croire à un retour de la bande à Baader. Je me demande comment je suis passée à côté de ce truc, et je vénère d'ailleurs un culte éternel à la personne qui me l'a fait découvrir, c'est hénaurme. En fait de terrorisme, il s'agit surtout de l'exécution, plutôt réussie compte tenu des conditions, d'un morceaux en 4 mouvements de percussions en liberté, dont les partitions sont des petits mondes cosmiques pleins de bonhommes en forme de notes  qui s'accrochent à leurs portées, bref, une vision de la musique qui commence avec un visuel de fou, montré trop rapidement à mon goût - mais j'ai toujours aimé les petits dessins dans les cahiers à portées. Un pauvre flic allergique à la musique se découvre une passion pour la tête pensante de ce gang qui a le pouvoir étonnant d'assourdir les instruments qu'elle touche - une femme à épouser quoi. Je ne sais pas qui a donné naissance à quoi - la musique au film ou l'inverse, mais on s'en fout en fait. C'est visuellement très beau et génialissime tant dans le propos que dans le ton, et puis musicalement, c'est quand même autre chose que de vieilles croûtes dans le genre de Caravan.

Que devient ensuite ce cher Niemand? Bah personne (jeu de mot bilingue ici!). Ou plutôt si: le batteur d'un groupe de redneck flamands du côté d'Ostende. Ex-drummer est une comédie(?) dramatique (re-?) autour d'un auteur trop-rock'n'roll genre Bukowski tendance moules-frites tellement cynique, tellement ténébreux, tellement tout quoi mais dont l'indifférence-à-l'égard-du-monde-est-finalement-pas-si-cool. Contacté par une bande de bras cassés pour jouer dans leur groupe, il va se la jouer gonzo et se faire un petit stage chez terreux du coin. Sera-ce la découverte de l'âme belle qui se cache dans les caravanes? Non. Je sais pas très bien quoi penser du film: c'est un type d'humour noir tendance bouseux, avec un second plan tragique pas très clair. Au niveau image, ça hésite entre du Gummo pluvieux et un peu de Vie de Jésus (pour les motos!). Tout le monde est un peu minable dans cette affaire: les tarés du groupe, l'auteur, les autres. La musique est pas mal. Y'a un peu de cul, aussi. Bon.

Whiplash, Chazelle, 2014
Sound of Noise, Simonsson et Nilsson, 2010
Ex-Drummer, Mortier, 2007

mardi 25 août 2015

Ecran total

Quand on voit la gueule de Jack "Legs" Diamond, on sait que ça va mal finir. Comme en plus le film s'appelle The rise and fall of Legs Diamonds, on se dit qu'il va bien monter mais finir aussi par tomber, comme dans un bon Zola. "Classique" film de gangster noir autour de l'ascension puis de la chute d'un méchant, on est comme d'habitude face à un truc difficile à faire du point de vue adhésion du spectateur: le gentil est en fait un méchant et finit par devenir méchant, avec des méchants qui vont apparaître gentils tellement le gentil devient méchant. Il y a une série de films de gangster des années 30-40 qui s'essayent à l'exercice, dont Angel with dirty faces auquel j'ai pensé en voyant ceci. Tout le problème du film de gangster est de sauver la morale avec des fins souvent tragiques mais en demi-teinte parce qu'il faudrait quand même pas qu'on pleure un truand. Dans le film d'Ortiz, le caïd joué par Cagney se repent au dernier moment, même si on ne sait pas trop si c'est pour déconner ou pour faire plaisir au curé - finalement, l'interprétation reste ouverte, ce qui est pas mal joué. The public enemy est à cet égard plus classique puisqu'il condamne la pègre dès le départ. The rise and fall fait partie d'un ensemble différent, puisqu'il est beaucoup plus tardif alors quoi? Si on suit sympathiquement ce cher Jack dans sa prise de pouvoir - c'est fait avec un certain humour, une sorte de nonchalance finalement- on voit cependant très vite pointer sa sale gueule via le personnage principal féminin, une gentille fifille toute moite à l'idée de se faire calcer par un Grand Méchant Loup. On pourrait dire qu'elle est finalement tellement con qu'elle ne mérite que ça - se faire utiliser et user par un type totalement machiavélique - et le reste des personnages féminins attestent que c'est probablement l'opinion de l'auteur - "zont que c'qu'elles méritent, ces morues vénales". On se met donc à détester Legs, tout en ayant envie de baffer sa gonzesse, ce qui s'annule un peu finalement. Le film se partage par contre à partir du  moment où Legs abandonne son frère phtisique dans un sanatorium au fin fond du Colorado: traiter l'ensemble de la gent féminine comme de la merde, passe encore, mais son frère, alors là non, Legs doit quimper. Du point de vue formel, c'est bien foutu, sans forcément de morceaux de bravoure et Ray Danton est excellent.

En regardant The Funeral, je me suis rendue compte que Walken avait une tête un peu en forme de fraise. Après examen approfondi, je me suis dit que c'était une question de rapport géométrique entre menton pointu et pommettes saillantes. Pommettes se dit d'ailleurs "jagodica" en serbe, ce qui veut littéralement dire "petite fraise". C'est trop mignon et on s'en fout, mais j'étais rien contente de moi, alors voilà. Du coup, je n'ai pas fait suffisamment attention au film pour en dire une chose un peu intelligente. Il y a là un bunch de bitch au niveau acteurs qui fait frétiller mon Ça, surtout Benicio Del Toro, sémillant en diable. Certaines scènes sont surprenantes: celle du règlement de compte et le dénouement en particulier, mais il faudrait que je le revoie pour démêler tout ça.

Io non ho paura n'est pas vraiment un film de mobsters, même si c'est en italien et qu'il y a un enlèvement. Un enfant découvre au fond d'un trou un autre mioche, visiblement là pour une raison pas trop nette et se noue un truc étrange qui finira (allez on peut le dire) bien, pour une fois. L'idée de partir du point de vue du protagoniste est pas idiote, puisqu'on complète les infos via des conversations tardives entre adultes entre-entendues et des morceaux de JT. Le cadre est vraiment bien pensé, avec une idée d'insularité, d'un truc au milieu de nulle part au bord du monde, et puis tout est fait autour de cette atmosphère, des méga-travelling dans les champs de blés, des plans géants d'un ciel quasi jaune enfin, quelque chose entre la petite maison dans la prairie et l'imminence d'un fin du monde qui s'insinue entre les sauterelles/

The rise and fall of Legs Diamonds, Boetticher, 1960
The Funeral, Ferrara, 1996
Io non ho paura, Salvatores, 2003

mardi 18 août 2015

Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi! Ne me mangez pas, ne me mangez pas, ne me mangez pas!

En lisant récemment un article sur la culture fooding, je me suis mise à me poser des questions: j'étais par ailleurs en vacances dans un lieu magique qui comprenait, ô joie, une télévision avec le câble. J'ai donc pu constater que moi aussi, j'étais capable de passer des heures difficile à justifier à regarder un jeune-cool expliquer la recette de la choucroute 2.0 en teuton. A partir du moment où MTV décline le concept de l'émission culinaire au format étudiants attardés en pleine fringale de shit, on est en droit d'avoir un peu peur - surtout quand on s'aperçoit qu'on vient de passer la bonne partie d'une heure de liberté à s'imploser les neurones devant ce truc innommable. Entre ça et les food trucks qui prolifèrent comme les cafards de la piscine d'Ixelles, les rayons de supermarché dignes d'une bibliothèque borgésienne et une nouvelle néo-langue culinaro-boulshite dont l'inanité n'a d'égale que la prétention: wtf?

The fuck, c'est une espèce d'utilisation bien tordue du surmoi par un système capitaliste aussi fier de lui qu'un prépubère qui découvre sa main droite. Le surmoi est défini comme l'instance de régulation du psychisme: c'est à dire qu'en gros, quand vous monte une subite envie d'enfoncer délicatement vos deux pouces dans les yeux de votre contrôleur onem jusqu'à ce que ça fasse pop, le surmoi intervient "Désolée (mon surmoi est une meuf) mon grand, ça va pas être possible. Non seulement c'est interdit, mais en plus, ça va certainement être beaucoup plus crade que ce que t'imagines et pour une fois que t'as un chemisier propre, bon, hein...". Mais il y a autre chose, qui est nettement moins connu, c'est que le surmoi est aussi cet enculé qui nous encourage, cette petite voix qui nous souffle "just do it" - c'est ce qu'on appelle l'injonction surmoïque obscène. On a donc une instance qui nous ordonne de jouir tout en l'interdisant - une vraie saloperie.

Un excellent exemple de ce type de fonctionnement est la publicité alimentaire qui nous dit "Salut! Achète moi! Mais ne consomme pas trop-gras-trop-sucré-trop-salé! Ce que je suis! Mais achète moi quand même!" A ce stade de contradiction, l'insouciant consommateur des 60's qui avalait son demi-litron de coca au réveil pour faire passer ses 10 tranches de bacon est réduit à l'état de petite chose fragile et tremblotante qui ne sait plus quoi faire. Heureusement, il y a Findus! Et face à une jouissance rendue aussi complexe, on se met à déployer des stratégies de Sioux hystériques qui nous permettent de jouir (un peu quand même) mais jamais de façon trop frontale: ritualisation, intellectualisation, déplacement sur les objets... On finit par passer plus de temps à parler, à expliquer, à thésauriser la bouffe qu'à grailler ( parce que c'est sale!).

Ça ressemble parfois à du fétichisme, parce que c'en est. D'une logique où la nourriture avait soit une valeur réelle (nutritive) soit une valeur sociale - et dans ces deux cas, la complexité de la nourriture n'est pas vraiment pertinente - on passe à une logique dans laquelle la ripaille vaut en elle-même et par elle-même. Ceux qui ont bien rempli leur cahier de vacances du petit Marxiste à la plage (supplément gratuit avec le Pif de juillet) ont bien évidemment reconnu le concept de fétichisation de la marchandise. La becquetance cesse d'avoir une valeur utilitaire, elle se charge d'un ensemble de significations sociales, de façons de se positionner dans la société qui en font un marché bien juteux. 

J'aime la candeur, et penser qu'on est dans un univers de fooding parce que le gens ont envie de manger mieux, diversifié, parce que le peuple est devenu curieux, aventureux, original, c'est mignon, mais la vérité c'est que si, aux gens qui disaient "Nous voulons consommer différemment", le marché alimentaire n'avait pas répondu "Ha ben ça ça tombe bien alors, on cherche justement à vous vendre de la merde différemment", on ne se retrouverait pas à passer une heure au rayon pain à se demander quelle est la différence entre le grand et le petit épeautre. 

Le capitalisme n'est pas intelligent, mais il est malin, il a bien compris que la diversification du marché alimentaire passerait par une fétichisation de l'aliment, et a largement réussi son coup en faisant nous faisant croire qu'on est trop cool quand on cuisine du quinoa (qui a fait 10000 km en avion) plutôt que des bêtes lentilles, qu'on a une conscience quand on achète du vin chilien (qui a probablement pris le même avion que le quinoa, c'est plus écolo) et qu'on a une vie plus intéressante quand on possède du poivre noir ramassé sur les flancs du mont Ararat par des chèvres géorgiennes. 

vendredi 14 août 2015

Ecran total

J'ai repoussé longtemps le visionnage d'Inherent Vice en me disant que je lirais le livre avant, mais bah, voilà. Ça m'avait été présenté comme un film de fou malade auquel je n'allais rien entraver, mais ayant déjà plus que tâté du Pynchon, j'ai crané "même pas peur". J'ai bien eu raison: je ne vois pas trop ce qui perplexe les gens. D'accord, y'a plus de trois personnages principaux et des rapports d'une intrigue à l'autre parfois secs, mais c'est quand même hyper linéaire d'un point de vue temporel et relativement cadré du point de vue de l'intrigue de base. Ça reste difficile à résumer: histoire de conspiration à ramifications multiples, mêlant american dream raté, espions en tout genre, sectes et société secrète de dentistes/narco. On retrouve bien l'auteur dans le concept d'intrigue qui accouche d'autres intrigues qui elles-mêmes etc. le tout se rejoignant par des chemins de traverses parfois surprenants- mais n'ayant pas encore lu le livre, je ne peux pas vraiment dire. Je reconnais quelques trucs que j'apprends à aimer chez Anderson: les plans larges sursaturés de couleurs vives ou de lumières blanches, les lenteurs dans les regards parfois, et puis une certaine obsession des cultes, des trucs cachés. Par contre, on sent un truc très jouissif dans la réalisation, un amusement  à mettre en forme un texte, y compris en l'intégrant largement au paysage filmique - une des premières voix off que j'ai trouvé réussie en terme d'adaptation.

Comme j'étais dans le vice, j'ai maté La crème de la crème, mise en scène d'une légende urbaine autour d'un réseau de prostitution dans les grandes écoles françaises. Franchement, c'est divertissant, mais ça reste très sage au niveau de la façon de traiter les choses - surtout après le gros kick facial de Dog Pounds. Là on part dans du teen movie scandaleux, mais sans prendre vraiment de risque: au final, l'histoire importante, c'est une histoire d'amûûûr (d'une lesbienne qui n'en est en fait pas une, on ne sait pas trop bien comment le prendre) et d'amitchié. L'aspect pas mal violent de la misère sexuelle et du rapport de tout ça au fric est finalement noyé dans une bande-son SoMe qui est certes plaisante, mais bon. 

The postman always rings twice est vraiment un film vicelard de chez vicelard: il l'est surtout pour son spectateur qui fait de bonnes montagnes russes morales. A partir d'une intrigue plutôt simple de film noir - la vamp qui entraîne l'amant transi à tuer le mari concon - on passe de rebondissements en retours de manivelle qu'on ne sait plus si les méchants sont vraiment bien méchants. Le rôle de la femme fatale est vraiment exemplaire, jusqu'à un certain point de repentir qui gâche un peu la sauce, tandis que l'amant entubé est lui plus linéaire - dans le fond, il est aussi bon con que le pauvre mari. Il y a pas mal de trouvailles au niveau dialogues, dont l'expression "dead as a doornail" sur laquelle on insiste tellement qu'on a cherché pendant tout le reste du film de quelle porte il pouvait bien s'agir. Mystère.

Et puis, pas vraiment vicieux, mais quand même plein de paillettes, Behind the Candelabra, titre qu'on pourrait prendre pour une position sexuelle tordue, mais en fait non. C'est une triste quoique super glauque à plein d'égards, histoire d'amour qu'on voit ici, entre un jeune rural aux joues replètes et une grande diva au gros candélabre. Pas de pathos cependant, même si l'histoire a un bon potentiel de sortie de mouchoirs, c'est plutôt sobre (enfin) et très neutre. Douglas est étonnant, Damon fait des trucs (ouuh) avec son menton pointu, tous les deux impeccables en tout cas. En termes de biopic "l'homme derrière l'image" , ça ne cherche pas non plus à creuser, à expliquer, redéfinir une certaine vérité de la personne derrière le personnage, mais ça présente surtout une tranche de vie qui en révèle probablement plus entre les lignes qu'une bio en bonne et due forme.

Inherent Vice, Anderson, 2014
La crème de la crème, Chapiron, 2014
The postman always rings twice, Garnett, 1946
Behind the Candelabra, Soderbergh, 2013

jeudi 13 août 2015

personne(s)



 Je ne veux pas de jeune, c'est une ordure de mot pour expatriés collatéraux. Je me dégoupille la tête à des angles tendus, j'envoie des corps étrangers se faire balbutier dans des piscines souffreteuses, le menton en bandoulière, la rate à la boutonnière. Les interstices d'une existence à louer livrent parfois des chancissures aux arômes extensibles, privés d'un oxygène qui viendrait étouffer l'envie. Mais quand la nuit déroute l'intérieur du cortex à coups de concepts baragouinants, reste un fond d'inertie vacillante, une démantibulation tendre, et un  sac de vieux sous inutiles.

mardi 11 août 2015

Ecran total

J'ai vu passer quelques fois Wolf Creek sans jamais m'y coller: c'est chose faite. Partant d'une idée alléchante - des backpackers rosbifs se font démembrer dans l'outback australien - je suis pourtant restée un peu sur ma faim. Le début est plutôt lent, ce qui laissait présager une tension bien construite, cherchée dans les petits détails et la forme des nuages: en fait bof. On assiste à des scènes somme toute banales de road trip ( "nan mais je crois que tu lui plais" " sérieux? Mais j'ai une meuf!" "So what? On va tous crever de toute façon"), une scène d'enroule digne des Marseillais à Miami et finalement même la scène originelle, celle dont tout procède dans ce type de configuration, à savoir la scène-de-la-pompe-à-essence-pleine-de-gens-chelous n'est finalement pas si folichonne. On voit par contre très bien le gros cratère ou WTF est ce truc, avec explications à l'appui (un coup du syndicat d'initiative de la commune de Herve de Wolf Creek) mais si pour des jeunots au cerveau déjà rachitique ramolli par l'alcool et des origines prolétaires un grand trou dans  le sol constitue un truc de ouf, pour nous, c'est surtout un grand trou dans le sol dont on aimerait qu'il jaillisse quelque chose - des kangourous mutants, des koalas bioniques, des wombats radioactifs ou même d'anciens backpackers devenus rois d'une société de batraciens communistes - tout plutôt que rien. Bon, avouons que le Méchant est rien chouette, avec son chapal et ses manières de cowboy cannibale, et que j'avais des espérances sans doute démesurées, étant été partiellement privée de massacre redneck par The Long Weekend

Dans le genre contrée reculée et autochtones pas causants, j'ai aussi vu La Isla Minima, dont je n'avais pas lu grand chose, sinon la mention, visiblement devenue épithète depuis " True Detective spaniard". Bon, déjà il faut arrêter de dire qu'un truc est un autre à tout bout de champ: il y a deux types, dans un endroit un peu reculé et pauvre avec de la flotte, qui enquêtent sur un meurtre et des longs plans de survols: BIM, c'est donc ça. Ajouté au fait que la nullité assez insondable de la saison 2 de TD est bien la preuve qu'on est loin de l'AOC, on peut dire que j'y suis allée méfiante, vis à vis du qualificatif autant que des gens qui continuent à l'employer. Bref. Le film est assez époustouflant au niveau des images, et les images prises du ciel (parfois un peu Yann Anus Bertrand) ne sont pas les meilleures. Il y a un très beau travail du cadre qui découpe des petites scènes de théâtre sur lesquelles se déroulent des choses sans commentaires, qu'on ne peut qu'observer à distance et dans le silence. Le silence est d'ailleurs ultra présent, y compris dans la résolution et les tenants et aboutissants de celle-ci: une des choses qui n'a jamais lieu, c'est l'explication, le truc de fond qu'on ne peut que supputer ou imaginer, essayer de comprendre. Le manque de didactisme peut déboussoler certains, je l'ai trouvé ingénieux, libérateur, et malin surtout dans le contexte précis de l'après-Franco. Y'a aussi des beaux flamands et ça, c'est tof.

Toujours dans l'idée "cette terre aride faite de cailloux zet de sable", j'ai également vu There will be blood, un film qui m'a rappelé que je m'évertuais à confondre Wes et Paul Thomas Anderson. Ça aura au moins eu le mérite de me faire retenir la différence. Ça pourrait être une fresque gigantique à l'américaine sur les chercheurs de pétrole, mais on reste finalement à un niveau micro (oui en fait micro dans le macro à la réflexion) humain, qui traite surtout de l'obsession, le pétrole étant finalement un prétexte. Le film est plutôt dense et difficile à démêler: la fascination pour le culte et la dimension hystérique qu'il prend, l'idée fixe qui finit par ne plus se justifier que par elle-même, un (anti)héros toujours entre maîtrise absolue et implosion totale dont on ne sait parfois plus sur quel bord il se trouve - la dernière scène est remarquable dans ce sens. Le travail du silence autour du fils m'a pas mal marquée: né/adopté dans un univers totalement silencieux, rejeté à ce même silence au final. 

Alors pour me remettre de tout ça: The Guest, un film qui nous pose plein de questions - qu'est-ce que ce truc fout sur ma clé? par exemple. Je ne sais pas, mais en ce moment, j'ai tendance à ne pas me poser de questions et à laisser les hasards de la vie choisir pour moi, je l'ai donc regardé et n'ai aucune idée de comment il est arrivé dans mon cosmos. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un invité qui débarque et dont on sait dès le départ qu'il va faire de la merde. Un indice nous permet de repérer le type qui va faire chier: comme tout bon aryen (huhu) il est blond, rasé et a des yeux bleus. Attention! Plein de gentils ont les yeux bleus, mais là on parle d'un bleu tendance bionique qui ne trompe pas. Cet être surnaturel est d'ailleurs plein de caractéristiques surprenantes qui amènent pas mal de questions type chaperon rouge ( "Invité Mystérieux, comment fais-tu pour ne jamais être fatigué? Comment tires-tu de si grosses taffes? Comment tiens-tu aussi bien l'acool? Comme tu as un gros couteau, pour quoi faire?"). C'est parce qu'il est un putain de robot, grognasse. En fait non. On ne sait pas très bien ce qu'il est, mais on s'en fout - visiblement, le scénariste aussi, qui tente peut-être un truc style La Isla Minima (" laissons les interprétations ouvertes, liberté herméneutique in da hood") mais qui a probablement juste oublié ce détail de l'intrigue. Pas grave! Pourquoi chercher à comprendre! On finit d'ailleurs dans un sous Funhouse pas forcément dégueu, avec un possible The Guest 2 dont on se passera, merci.

Wolf Creek, McLean, 2007
La isla minima, Rodriguez, 2014
There will be blood, Anderson, 2007
The guest, Wingard, 2014

jeudi 6 août 2015

Man: 1- Machine: 0

Longtemps vilipendée par les mélomanes septiques (sic) - " c'est même pas de la musique, y'a pas d'instruments" (cqfd?) - , l'electro a fini par se faire des instruments à elle, aussi divers que rigolos, bigarrés qu'ésotériques, avec des petites loupiotes ou des gros boutons: bref, on a fini par s'y faire. Alors se mettre à faire de l'electro avec des vrais instruments du 19e siècle, mais quelle idée saugrenue!

C'est pourtant celle du combo Miss Tétanos und Sri.Fa and Stephen O'Maltine qui se paye le luxe d'un vrai batteur, en chair et en barbe, à la place d'une jolie boîte à rythme, et ici, il faut bien le dire, l'homme l'emporte largement sur la machine.


D'abord l'homme est finalement moins con: une machine ne fera jamais que ce qu'on lui dit - de la merde, donc souvent hélas -, ne pensera pas à donner un avis subversif - "mais heuu.. dis-moi mais c'est pourri ton truc, là"- car elle ne pense pas avec sa petite tête pleine de circuits zélectriques et ne connaît pas grand chose à la musique - à l'instar d'un paquet de gens qui la tripotent (la machine, pas la musique (quoique...)). Ensuite, l'homme est flexible: ingé son de merde, contretemps, coupure d'électricité, tsunami: il tient tête aux éléments et brave les tempêtes, son gros chibre ses baguettes à la main. Enfin, l'être humain a le gros avantage d'être capable de ressentir des émotions, sauf s'il est au MR: entre une machine qui fait krouik et un grand barbu en train de prendre le pied du siècle tout en mettant une méchante raclée à ses toms, seuls les quadra de l'Est toujours pas remis de la mort de Kraftwerk et les propriétaires de galeries scandinaves dépressifs préféreront le premier.

D'autant plus que cette machine humaine était accompagnée d'un indien de l'espace à longs cheveux, sorte de croisement entre Spock et Big Chief, korganiste de son état, et d'une Miss Tétanos en short bavarois heideggerien et lunettes de Terminator. Ceux qui ont suivi les démêlés du philosophe teuton avec le courant cybernétique ne pourront qu'apprécier l'ironie de cette configuration man/machine. Le fait qu'en plus on nous balance de la voix robohypnotisée/modulée grâce à un engin nommé Lexicon a achevé de filer une bonne grosse gaule à notre lobe frontal gauche et jusqu'au fond de notre Dasein tout frétillant.