dimanche 30 août 2015

The little drummer boy

Je m'intéressais récemment au concept boîte à rythme vivante en constatant qu'il existait un nom pour cet être fabuleux: c'est tout simplement un batteur. Histoire de pas avoir l'air d'une buse, je me suis documentée: mais qu'est-ce que ce pa-ra-pa-pam-pam?

Pour commencer, apprendre la batterie, c'est pas chié. Whiplash nous l'enseigne à grands coups d'Actor's studio dans les dents (je parle bien sûr de l'émotion n°3, "constipation artistique" qui domine l'ensemble du jeu de Teller et de l'émotion n°14, "mentor nazi exigeant" qui couvre ce que fait Simmons). Ce type de direction pas forcément subtil est finalement en accord avec l'idée de fond du film: l'art, c'est la souffrance, c'est une chose qui vient des tripes et qui ne peut que faire mal, très mal. Si ça fait du bien, c'est que c'est mauvais. Du coup, bah, le film fait un peu mal. Je ne parlerai pas du point de vue musical/technique puisque je n'y connais rien, mais il y a quelque chose de fondamentalement vicieux dans l'histoire. A partir de la configuration de base (un élève nigaud, le niais Neiman, débarqué de son Midwest, des barbes de maïs plein les cheveux et des étoiles plein les yeux + un mentor tout en noir à la main de fer et à la bite en acier), il n'y a pas mille issues: soit la méthode échoue soit elle réussit à faire de notre jeunot une bête de scène. Il y aurait bien eu une troisième voie et c'est ce que j'ai espéré pendant une partie du film, mais non. On rejoint une vision assez répandue du génie qui en fait un état de grâce piloté par la souffrance humaine. On sait depuis Therapy? (et Simone) que les gens heureux n'ont pas d'histoire, et que les Vrais Créateurs sont des êtres toujours blafards, jamais contents, exsangues d'une existence vouée à l'Art qui les tue à petit feu. Comment faire, donc, quand on est une personne normale, pour atteindre cet état tellement envié de Poète Maudit? Fastoche: il faut se créer soi-même les conditions de son propre supplice et bim, voilà le Génie qui pointe son nez. Trop coule! Alors que la maîtrise d'un instrument à un niveau d'excellence requière un certain effort, parfois douloureux, j'en suis consciente; qu'il existe un certain nombre de tarés qu'on a enchaînés à un piano à l'âge de trois ans avec pour seul horizon une place au Reine Elizabeth, c'est évident, de là à en faire un récit épique de volonté de puissance nietzschéenne, c'est un peu lamentable - et c'est n'avoir pas compris grand chose à la volonté de puissance, en passant. Il suffit d'ailleurs d'imaginer le même film, mais avec un flûtiste et c'est tout de suite beaucoup plus ridicule.

D'ailleurs, nous retrouvons notre batteur whiplashé, ce pauvre Neiman 10 ans plus tard dans Sound of Noise: percussionniste au Philarmonique de Trifouillis, il passe ses soirées à attendre l'unique coup de cymbale de la mesure 156 du concerto n° 145 bis de Haydn. Quel pied! Du coup, il rejoint un groupe de types louches qui font de la musique avec des vieux pleins d'hémorroïdes: ce sont donc des terroristes, mais faut pas prendre la grosse tête, ces derniers temps, il suffit de faire pipi devant un Delhaize pour faire croire à un retour de la bande à Baader. Je me demande comment je suis passée à côté de ce truc, et je vénère d'ailleurs un culte éternel à la personne qui me l'a fait découvrir, c'est hénaurme. En fait de terrorisme, il s'agit surtout de l'exécution, plutôt réussie compte tenu des conditions, d'un morceaux en 4 mouvements de percussions en liberté, dont les partitions sont des petits mondes cosmiques pleins de bonhommes en forme de notes  qui s'accrochent à leurs portées, bref, une vision de la musique qui commence avec un visuel de fou, montré trop rapidement à mon goût - mais j'ai toujours aimé les petits dessins dans les cahiers à portées. Un pauvre flic allergique à la musique se découvre une passion pour la tête pensante de ce gang qui a le pouvoir étonnant d'assourdir les instruments qu'elle touche - une femme à épouser quoi. Je ne sais pas qui a donné naissance à quoi - la musique au film ou l'inverse, mais on s'en fout en fait. C'est visuellement très beau et génialissime tant dans le propos que dans le ton, et puis musicalement, c'est quand même autre chose que de vieilles croûtes dans le genre de Caravan.

Que devient ensuite ce cher Niemand? Bah personne (jeu de mot bilingue ici!). Ou plutôt si: le batteur d'un groupe de redneck flamands du côté d'Ostende. Ex-drummer est une comédie(?) dramatique (re-?) autour d'un auteur trop-rock'n'roll genre Bukowski tendance moules-frites tellement cynique, tellement ténébreux, tellement tout quoi mais dont l'indifférence-à-l'égard-du-monde-est-finalement-pas-si-cool. Contacté par une bande de bras cassés pour jouer dans leur groupe, il va se la jouer gonzo et se faire un petit stage chez terreux du coin. Sera-ce la découverte de l'âme belle qui se cache dans les caravanes? Non. Je sais pas très bien quoi penser du film: c'est un type d'humour noir tendance bouseux, avec un second plan tragique pas très clair. Au niveau image, ça hésite entre du Gummo pluvieux et un peu de Vie de Jésus (pour les motos!). Tout le monde est un peu minable dans cette affaire: les tarés du groupe, l'auteur, les autres. La musique est pas mal. Y'a un peu de cul, aussi. Bon.

Whiplash, Chazelle, 2014
Sound of Noise, Simonsson et Nilsson, 2010
Ex-Drummer, Mortier, 2007

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