dimanche 27 septembre 2015

Fin(s) de mondes

J'ai un peu laissé à l'abandon un cycle pourtant fort agréable, intitulé Fin(s) du monde: est-ce ainsi que les hommes vivent ; pourquoi, bonne question. Je m'y suis donc remise avec joie et entrain - toujours partante quand il s'agit d'apocalypse.

Heaven's gate fait partie de ces films ratés devenus cultes après coup: il a non seulement enterré Cimino, mais a également coulé United Artists - un énorme flop donc à la mesure du statut culte acquis aujourd'hi - via les 20' supplémentaires de la director's cut qui nous donne un total de 3h40 quand même. Il faut dire qu'il s'agit d'un western produit en 1980, pas top donc, et tournant autour d'un événement pas forcément retentissant: une sorte de mini-guerre entre des propriétaires riches et des immigrants de l'Est pauvres dans le Wyoming de la fin du 19e (sexy, hein?). D'où le qualificatif "néomarxiste" qui me laisse perplexe: certes, il y a des belles barbes et on y parle russe, mais à ce rythme-là, le Sablon est un repaire de trotskistes. Moi qui suis marxiste vintage, j'y ai surtout vu une bonne fable américaine sur les envahisseurs venus d'ailleurs, tous ces réfugiés dont on sait qu'ils sont rien que des anarchistes et des voleurs (le gouvernement Michel likes this). James, shérif (ou un truc du style) de son état va se dresser contre cette injustice inique-ta-mère et retrouve du même coup son vieux poto de Harvard, Nate (Chris Walken!hiii!), devenu un genre de maquereau (quand on vous dit que l'université ouvre toutes les portes). Quand j'ai reconnu Walken, je me suis mise à reconsidérer ma théorie de la tête de fraise serbo-croate, puisque dans sa prime jeunesse, Walken est plus radis oblong que fraise des bois. Ceci dit. On retrouve l'amour de Cimino pour les foules grouillantes, les fêtes de populace avec violons et gigues sous les tonnelles, mais ici dans un cadre ultra aérien, de longs plans lents. Il y a quelques scènes génialissimes, John Hurt contemplant une armée de mercenaires en marche et disparaissant dans le nuage de fumée d'une locomotive (en marche donc aussi), et puis l'entrée d'une Isabelle Huppert en pute-en-chef dans son bordel saccagé par les mêmes mercenaires (décidément!) enfin ça et plein d'autres trucs. Il y a par contre des longueurs et des trucs parfois un peu cuculs (la mère bulgare méritante, le shérif barbu chuknorrisesque entre autres). 

Japon est le dernier Reygadas que je n'avais pas vu. Il raconte une fin du monde un peu différente, celle d'un peintre venu se suicider dans un canyon (pas forcément finaud, il aurait été plus simple d'aller se caler sur le haut dudit canyon plutôt que dedans, mais bon). Histoire de faire les choses dans l'ordre, il se trouve un endroit où crécher, en l’occurrence la grange pourrie d'une micro-vieille complètement paléolithique, mais néanmoins sympathique, elle aussi en train de vivre une fin du monde à sa façon. C'est Reygadas, alors il y a tout de même dans le silence de la présence un lien, une relation tue (et du cul! OUAIS!). Tout est fait dans un calme, une sorte de pesanteur légère portée par une lumière qui crame les yeux - l'attente, l'hésitation, l'infini intérieur d'une douleur existentielle inscrutable. Le dernier long plan en forme de travelling tournoyant sur lui-même est un des plus beaux plans finaux que j'aie vus récemment, avançant avec l'inéluctabilité d'une apocalypse déjà écrite dans les premières minutes vers une fin toujours déjà là.

Pour rester dans le côté nippon, j'ai maté Big Man Japan qui n'a mais alors aucun rapport et qui reste le truc le plus bizarre et genialoïde vu dans ce cycle. Big Man est un genre de super héros ordinaire, un type plutôt normal, voire un peu fadasse, qui aime bien les choses qui sont petites mais qui peuvent devenir grandes à la demande (Sigmund likes this). C'est parce qu'il est lui aussi une chose qui devient grande: son taf consiste à se faire éléctrocuter pour devenir super big et aller kicker la gueule des méchants géants qui font partie de la faune naturelle et artistique japonaise. Le film est fait comme un documentaire, genre vis-ma-vie-de-big-man-japan, et puis les séquences de monstres sont par contre complètement hallucinantes. Visiblement, on n'a pas cherché à faire peur ou à faire vrai - ça se termine d'ailleurs avec une parodie de famille de Power Ranger complètement délirante - par contre, j'aimerais beaucoup rencontrer (et plus si affinités) le type qui a dessiné les monstres. 

Il y a le strangling monster qui attaque les buildings en les entourant de ses bras zélastiques - pratique!








 Puis le leaping monster, globalement une tête posée sur une cuisse géante - on sait pas trop ce qu'il fait, à part sauter en faisant "wiiiiiii!" - plutôt mignon.





Le stink monster pue - autant que 10000 cacas humains, c'est pas rien. Pour le reste, il zone dans le coin et se fait draguer par des petits jeunes. Chill.
Mais mon grand favori reste le evil stare monster, pourvu d'un œil rétractable attaché au niveau de l'entrejambe. Ça fait très mal à mon psychisme, ce genre de truc, surtout quand il remonte la corde du son œil phallique pour le faire tournoyer. Même mon psy est déboussolé: objet phallique ou scopique, point aveugle ou assomption de l'objet a? 

Maman!
Heaven's gate, Cimino, 1980
Japón, Reygadas, 2002
Big Man Japan, Mastumoto, 2007

lundi 21 septembre 2015

Satan (JC, fais-moi mal)

J'ai depuis longtemps un faible pour les mecs avec un nom en -satan. Même si je me suis jurée qu'on ne m'y reprendrait plus, JC était en ville et j'ai craqué. 

J'ai raté le premier groupe parce que, comme un bon nombre de connards, j'ai attendu 19h30 (journée sans voiture oblige) pour sauter ma porche cayenne et pouvoir cramer mes mg de CO quotidiens - faudrait pas non plus que la couche d'ozone s'en sorte si facilement que ça. Non je déconne, je finissais mon épisode de The Shield ( les flics, pas les héros en collants fluos)

Bon bref. Je suis arrivée pour Thee Marvin Gay, sympathique groupe tournaisien (tournaisi?) taxé de rock psyché 70' tendance Thee Oh Sees. Tendance Thee Oh Sees, c'est un peu peu: c'est carrément ça, des petites guitares bouncy aux effets de reverb vocaux à la limite du spectral, avec même des petits "ouh!" de temps en temps. Sympathique donc, quoiqu'un peu propret, studieux - un peu kot à projet Thee Oh Sees en fait. Ceci dit sans méchanceté aucune, puisque c'était sympa (au risque de me répéter). On aimerait un truc un peu plus crade, des grincements distordus et des crachouillis dans les baffles. 

Puis JC est arrivé et c'était tout de suite moins sympa. Je ne rentrerai pas dans les détails musicaux, je m'y connais trop peu, mais je pense que c'était de la bombe de sa race. L'image qui me vient à l'esprit est celle des quelques planches du deuxième tome de Blast, la dernière bombe visuelle de Manu Larcenet. Il y est question d'un concert qui commence doucement puis "l'univers devint un mur de son... Vertical, infranchissable... cyclopéen." avec un dessin dont la technique m'échappe - ça ressemble à de la litho mais griffé de partout, une explosion blanche qui dilue les silhouettes. Bref. ça m'a fait ça: deux murs de sons, au début et à la fin, avec entre les deux, comme dirait Saint-Jacky "L'APOCAYPSE, associé!". Putain, ça fait du bien. Comme je confonds un peu tous les albums, je saurais pas dire ce qui était quoi, à part un Crystal Snake de feu, pour le reste, l'essentiel était là. De la guitare démantibulée, du clavier épileptique, des voix doucereuses comme du miel toxique... franchement, si JC Satan avait existé quand j'avais 17 ans, je serais devenue musicienne héroïnomane plutôt que foucaldienne alcoolo - ce qui revient un peu au même si on pense bien et suffisamment longtemps. 


Ah JC.... tu es plus moustachu que barbu, mais je te pardonne. Laisse tomber Bordeaux-la-Bourgeasse et migre à Bruxelles-sur-Priština. Je te laisserai me fouetter le subconscient et je te parlerai de l'apocalypse orthodoxe en serbo-pas-croate: tu verras, c'est do jaja.

jeudi 17 septembre 2015

Infinite Jest: WTF is DFW?


J'ai récemment (enfin) relu (et fini) Infinite Jest, livre que j'avais abandonné à la moitié. Il fait partie de ma liste "très gros livres américains postmodernes", classement très scientifique donc, et restait comme un bouton pas percé qui me démangeait. J'ai longtemps tourné autour de l'idée d'écrire quelque chose dessus: c'est tellement énorme, enchevêtré, mindfucking que je me suis désistée en pensant que je n'arriverais jamais vraiment à en parler.  Et puis je suis tombée sur ce truc qui prouvait qu'on pouvait écrire de la merde et s'en foutre. 

Résumer le livre ne servirait à rien (et puis c'est l'essentiel de l'article susmentionné) puisqu'il ne se passe pour ainsi dire rien. Il y a en gros trois univers qui entrent en contact via une histoire de cassette vidéo létale utilisée comme outil terroriste mais chaque univers est en lui-même tellement plein de trucs, enfin de quoi, on ne sait pas trop, mais bon, si bien qu'à la page 600 on se rend en un coup compte qu'il ne s'est toujours rien passé  et puis autour de la page 900, un sursaut, deux trois trucs se passent (?), on croit même qu'il y aura un genre de dénouement et là, hop, on repart sur une histoire qui n'a pas grand chose à voir avec l'intrigue et qui ne concerne même pas un personnage principal (enfin, disons qu'il n'est pas SI principal que ça). Bref, c'est UN PEU frustrant, surtout si on aime les résolutions avec des bisous à la fin.

L'essentiel est dans la circonvolution, la digression - à la limite, le livre tout entier n'est qu'une immense digression, e.g. les 200 notes de bas de page ajoutées à la fin du livre (il faudrait qu'on parle des notes de bas de page, mais ce serait plus mieux de le faire en note de bas de page et ce n'est pas possible ici). L'autre "très gros livre américain postmoderne" (ou T.G.L.A.P.M.) auquel j'ai pensé en lisant, c'est The gravity rainbow parce qu'il semble toujours échapper à ce qu'il raconte. Pynchon est mille fois plus complexe (suffit de voir le graphe des personnages de Gravity), mais paradoxalement plus simple à lire parce que ultra construit, obsessionnellement crafté avec une rigueur digne d'Hannibal. Face à ça, Infinite Jest ressemble à un truc complètement difforme, sorte de livre-freak, avec des bouts de corps greffés à la nimp, un truc potentiellement radioactif bricolé sur la table de cuisine poisseuse d'un Franstein/Rain Man de trailer park.

La difformité est d'ailleurs le sujet central du texte et c'est quelque chose qui se branche sur tout le reste: le divertissement, l'amour parental, la création, la dépendance, la faille intérieure, enfin littéralement l'idée d'être cassé; c'est aussi une idée qu'on retrouve dans d'autres textes de David Foster Wallace, dont un truc absolument superbe The nature of the fun, un petit morceau sur le métier d'écrivain, dans lequel il déroule une métaphore assez géniale (piquée à DeLillo, aussi sur ma liste de T.G.L.A.P.M) d'un livre en progrès ressemblant à un enfant handicapé plutôt dégueulasse, "hideously defective, hydrocephalic and noseless and flipper-armed and incontinent and retarded and dribbling cerebrospinal fluid out of its mouth", qui se traîne partout derrière son écrivain. Il est dégueu, mais on l'aime parce qu'on l'a fait et qu'on est donc en partie responsable de sa hideur qui est d'ailleurs la garantie qu'on l'aimera toujours. C'est bien tordu et c'est ça qui est bon.

Et c'est ce qui fait d'Infinite Jest un récit complètement addictif, une sorte d'apnée dans les entrailles d'un blob gluant et mou de phrases méandreuses qui foutraient la honte à Proust, dans un style à la limite de l'autopsie clinique d'un monstre humain, sorte de téralogie de l'intérieur qui est pourtant l'envers d'une certitude, d'une conviction plutôt, qui fait de Foster Wallace un putain d'optimiste, c'est que cette protubérance estropiée et rachitique que nous sommes ça veut dire aussi au fond que nous sommes réellement humains.
Hal, who's empty but not dumb, theorizes privately that what passes for hip cynical transcendence of sentiment is really some kind of fear of being really human, since to be really human (at least as he conceptualizes it) is probably to be unavoidably sentimental and naive and goo-prone and generally pathetic, is to be in some basic interior way forever infantile, some sort of not-quite-right-looking infant dragging itself anaclitically around the map, with some big wet eyes and froggy-soft  skin, huge skull, gooey drool.
Infinite Jest, pp.694-695

Infinite Jest, David Foster Wallace, 1996
The Nature of the Fun, in Both flesh and not, 2012 

jeudi 10 septembre 2015

Soumission (Michel, fais-moi mal)

J'ai enfin eu l'occasion de lire Soumission qui avait soulevé un certain émoi collectif au lendemain de l'affaire Charlie. Je me méfie de l'émoi collectif, car il est souvent proportionnel au nombre de photos d'enfant mort. Spoiler: il n'y a pas d'enfant mort dans ce livre, même pas un petit dans un coin, oublié dans un congèle. Déception.

Non, l'hystérie s'est surtout enroulée autour de la vision postapo d'une France dirigée par un parti de musulmans modérés qui remettent au goût du jour de sains préceptes tels que l'absence de femmes dans l'espace public, l'interdiction de la jupe et l'autorisation de la polygamie. J'aurais en toute logique dû bouillir tout au long du livre, moi qui passe ma vie à occuper l'espace public, qui porte exclusivement des jupes et qui doit être une des dernière personne sur terre à ne pas pouvoir me faire tromper sans broncher, c'est dire.

Hé bien non. Le livre n'est pas le meilleur feelgood book du monde, mais il n'est jamais qu'un récit houellebecquien classique, l'histoire d'un quadra bien tassé sur lui-même absolument seul, avec autant d'imagination au niveau du désir qu'un protozoaire. Ça fait un moment que ce cher Michel nous tartine les malheurs des oubliés de la révolution sexuelle, ces pauvres vieux qui n'ont pas le droit de jouir parce qu'ils sont vieux donc, et qu'ils n'arrivent plus à se taper des jeunes. Parce que le seul truc qu'on désire universellement, ce sont des "petits culs fermes" ( expression utilisée au moins trois fois, idée de sujet de thèse: Désir(s) de Houellebecq: "le petit cul ferme") : avouez que c'est manquer d'imagination. Notre héros, François, est finalement resté coincé dans un hédonisme consumériste obsédé par le jeunisme qui ressemble diablement à ce qu'on voit dans les Marseillais à Miami (nouveau sujet de thèse: Michel et les Marseillais: néo-romantisme et petits culs fermes). C'est d'ailleurs un universitaire incapable d'avoir envie d'étudier autre chose que son sujet de thèse, un vieux croûton dont l’achèvement d'une vie intellectuelle se résume à éditer le volume Pléiade de son auteur. C'est finalement assez triste.

J'ai toujours apprécié Houellebecq et c'est un roman plutôt agréable à lire qui nous apprend en plus plein de trucs sur Huisman, ce romantique qu'à l'instar de Voici tout le monde connaît mais personne n'a lu. Il y a quelques remarques çà et là sur l'inanité de l'existence, le vide, les gens qui sont cons, et les surgelés Picard. Il y a aussi de temps en temps des formules lapidaires qui rappellent la poésie de Houellebecq, des petites phrases assassines qui commencent bien et finissent plat - j'ai bien aimé " cette vieille pétasse de Nietzsche mais je glousse dès qu'on prononce le nom de ce philosophe à cause des chevaliers qui disent Ni(etzsche).

Tout ceci m'a rappelé que dans ma fougueuse jeunesse, j'avais essayé de faire connaître et breveter une forme poétique appelée le Haiku Houellebecquien (HH pour les skaters), formule que je retrouve aujourd'hui avec plaisir. Le haiku est une forme de poésie qui se caractérise par sa brièveté et la fulgurance de sa pensée. Houellebecq étant à la fulgurance ce que Francken est à la décence humaine, je trouve l'idée cocasse. Il construit souvent ses formules en deux temps: un début grandiloquent qui retombe dans le trivial le plus triste, style " Elle était la femme de sa vie pendant les heures de fermeture du bordel"(mais en mieux). Ça ressemble à de l'anacoluthe (oh, nouvelle idée: L'anacoluthe Houellebecquienne: rupture et "petit cul ferme"). Il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que lui qui s'éclate, alors voici le haiku houellebecquien du jour:

Puanteur tenace des espaces interstitiels,
je sors
les poubelles.

Cette douleur aiguë qui parfois m'interpelle
du fond
de ma Duvel.


Ah Michel.... Arrête de faire ta pétasse postmoderne et change de parka. Je te laisserai me fesser le fessier, que j'ai ferme comme la politique d'immigration hongroise, et je te parlerai de ma prochaine thèse, Fulgurances et platitudes chez Houellebecq : le petit cul ferme à 18h.

mercredi 9 septembre 2015

I stand still

Porto, 2015

The Ecran Total

Pour une fois, j'ai fait dans le simple: cette série ne comporte que des films dont le titre se compose de The+ nom de métier, parce que less is more, simple is complicate et structuralism is the answer.

The Counselor  n'est pas un conseiller conjugal, mais un type ((Fassebender, et la raison du choix de ce film) vaguement avocat - on le voit une fois dans une prison et tout ce qu'il fait c'est amener des clopes à sa cliente. Bref, c'est louche. En plus, il s'embarbouille dans une combine pas possible d'achat/vente de trucs pas légaux via un VRP qui porte un costume blanc et un chapeau de cow-bow, sorte d'Eddy Barclay redneck (Brad Pitt). Il demande évidemment à un associé qui ressemble vaguement à un skater prépubère sous acide ayant abusé du gel (Javier WTF Bardem) de lui filer du blé. Avec une telle équipe de bras cassés, on se demande bien comment ça peut merder, C'est écrit par McCarthy que j'aime d'un amour de steppes arides poussiéreuses depuis sa trilogie Borders, et donc on sait quand même un peu que c'est mal barré (en plus des guignols susmentionnés). On retrouve son univers, la zone frontière faite de bouts de caillasses et de sable qui pique les yeux, de body shop avec des chiens en laisse au bord de la route, de grands espaces vides et de tragédie inéluctable. Il y a un mécanisme qui dépasse le libre arbitre qui se met en place (dès avant le début en fait), sans qu'on en ait jamais complètement confirmation, mais qui laisse peu de possibilités à notre héros . Visuellement, c'est très bien traduit, au niveau réalisation, ça louche déjà plus vers le film d'action avec des courses-poursuites pleine de techno, Cameron Diaz ridicule en pétasse nitezchéenne et des caméras qui bougent un peu trop à mon goût. Sans vouloir rentrer dans le tarkovskisme, le texte aurait sans doute mérité plus de calme, mais je me trompe peut-être: et si McCarthy en avait eu marre du contemplatif catstrophisme et était passé au davincicodisme? Peu probable, mais enfin.

The Machnist est lui bien un machiniste - même si on ne sait pas trop bien à quoi sert sa machine, sauf à bouffer de temps en temps la mimine d'un type qui rêve à son surgelé de ce soir. Le film raconte finalement pas grand chose: un type n'a pas dormi depuis un an et commence à avoir des hallucinations. Pas étonnant, on dira. Mais cette suite de rêves éveillés va finalement le conduire à quoi, à qui, hé bien en toute logique, à achever une longue et douloureuse analyse lui permettant de boucler son signifiant sur son signifié et d'arrêter de nous faire chier. Mais non, en fait, point de psy, il n'y a qu'une serveuse de bar d'aéroport, une pute en RTT et un mystérieux inconnu pêcheur. Ce qui en fait un truc assez radical, c'est la présence spectrale de Christian Bale, dont il ne reste plus grand chose et qui éclipse un peu le reste. Il est hyper intense, c'est certain, en même temps il fait tellement peur physiquement, qu'il n'a pas besoin de jouer grand chose. Tout le monde s'excite sur cette performance, il faut quand même reconnaître qu'il a juste perdu 15 kilos. C'est probablement impressionnant, mais ça n'en fait pas un acteur pour autant. Bon après, c'est Bale, et je l'aime d'un amour fait de cape noire et de collants moulants, mais quand même, quoi hein. Elle aussi, elle a perdu 15 kilos et elle attend toujours sa nomination (enfin, peut-être plus).

The Stranger n'est pas vraiment un métier, puisque notre stranger est en fait professeur, mais finalement, c'est l'aspect stranger qui gagne, puisque comme tout étranger, c'est en fait un nazi caché, bouh! (Théo Francken likes this). C'est donc une histoire de traque de nazi dans l'Amérique d'après-guerre qui mène un agent ave une pipe cassée (du FBI? non, autre chose, mais j'ai zappé) sur la piste d'un mégaméchant (Orson Welles) reconverti en professeur d'histoire (comme quoi on engage vraiment n'importe qui), vivant une paisible vie d'américain moyen, avec une meuf bien bonasse et bien soumise  éduquée.  Il est super bien caché et personne ne sait à quoi il ressemble, sauf son fidèle lieutenant qu'on a laissé filer pour mener l'agent-à-la-pipe jusqu'à lui. A partir de là, il s'agit de le démasquer et de prouver que c'est bien lui, vachement difficile, puisque la seule personne qui le connaît gît dans un bois (le fidèle lieutenant donc, désolée pour le spoiler). Comment qu'on va faire donc? C'est simple: reposons-nous sur sa meuf hystérique, comme le dirait l'enquêteur "son subconscient est notre meilleur allié". Hum. C'est vrai qu'apprendre qu'une personne qu'on vient d'épouser est peut-être en fait un nazi maléfique, ce qui remet en cause à peu près toute une existence est un moment où le subconscient est particulièrement clairvoyant. Le reste est à l'avenant, un peu neuneu, plein de patriotisme et de bons sentiments, avec des cascades de fous qu'on croirait qu'Indy va débarquer, mais non. Reste que c'est excellent au niveau image, avec des lumières impeccables, des ombres fuyantes et des plans qui foutent le vertige. J'aime bien voir Welles jouer, il a un truc super chelou sur la tête, un peu comme si on lui avait enfoncé la partie au-dessus du nez, entre les yeux, là. Ça donne à ses sourcils un truc très Metropolis, particulièrement inquiétant ici. 

The Counselor, Scott, 2013
The Machinist, Anderson, 2004
The Stranger, Welles, 1946

The Border Trilogy, McCarthy, 1992, 1994, 1998.

vendredi 4 septembre 2015

she comes from somewhere

probably from the bellybutton or the shoe under the bed, or maybe from the mouth of the shark or from the car crash on the avenue that leaves blood and memories scattered on the grass.
she comes from love gone wrong under an
asphalt moon.
she comes from screams stuffed with cotton.
she comes from hands without arms
and arms without bodies
and bodies without hearts.
she comes out of cannons and shotguns and old victrolas.
she comes from parasites with blue eyes and soft voices.
she comes from under the organ like a roach.
she keeps coming.
she's inside of sardine cans and letters.
she's under your fingernails pressing blue and flat.
sh'es the signpost on the barricade
smeared in brown.
she's the toy soldiers inside your head
poking their lead bayonets.
she's the first kiss and the last kiss and
the dog's guts spilling like a river.
she comes from somewhere and never stops
coming.

me, and that
old woman:
sorrow.

C. Bukowski, what matters most is how well you walk through the fire.

mercredi 2 septembre 2015

Mobster and Mafiosi

Point Blank est pile dans ce qui me plaît pour le moment: c'est du film de gangster mais en fait non, avec des codes complètement  à l'ouest et un aspect visuel très psyché. Il s'agit en gros d'une histoire de vengeance - enfin au sens anglais de "payback", puisqu'il s'agit surtout pour un pauvre Walker (Lee Marvin) de récupérer ses sousous que son associé lui a fourbement piqué après un casse, le laissant pour mort du même coup. Mais Walker est bien vivant et devenu un peu monomaniaque: il veut sa thunasse et c'est à peu près tout ce qu'il dit "I want my money". Il décide donc de s'attaquer tout seul comme un grand à une organisation où c'est toujours quelqu'un d'autre qui a la maille (comme souvent en fait) et finit par allonger tout le monde, y compris la sœur de son ex-femme qui elle, s'était tirée avec le fourbe du premier acte, la traîtresse, toute cette confusion donnant lieu à de chouettes séquences au pieu où Walker est Walker et sa gonzesse elle-même, puis devient son ex, qui est aussi sa sœur (à elle) et lui devient son ex-associé (qui s'est d'ailleurs aussi gaulé la sœur de l'ex): bref, tout ça est très 60's. C'est un film relativement expérimental au niveau narratif, avec des superpositions de récits, des dialogues déconstruits et des distorsions sonore/visuel qui font parfois penser à Altman. Visuellement, c'est aussi vraiment intéressant, carrément dans l'esprit psychédélique dans les compositions, avec un côté post-apo de ville déserte qui décarre pas mal.

En regardant L.A. Confidential, j'ai repensé au Black Dahlia, que j'ai lu mais pas vu : ça se passe aussi à Los Angeles, haha. Plus sérieusement, il y a un peu de ce rythme en deux temps, avec l'idée d'une chose qui est résolue mais en fait non. Globalement, le film raconte une enquête autour d'un truc pas loin du fait divers (un shoot-out dans un dinner la nuit, pas de quoi s'émouvoir) mais qui se révèle en fait une porte d'entrée dans une affaire de corruption de flics massive que quelqu'un essaye de glisser sous le tapis. Au centre du merdier, trois flics, le Bon, la Brute et le Truand, genre de trilogie qu'Ellroy kiffe bien d'ailleurs, qui vont tous devenir un peu plus bon, un peu plus brute et un peu moins truand, enfin bon, moi mais en mieux.  Face à eux, une institution toujours en avance d'une longueur, avec ses yeux partout, et évidemment, une femme qui catalyse tous les fantasmes (typique aussi, comme dirait Scotty Bennett "Cherchez la femme"). Visuellement, ça ne m'a pas marquée plus que ça, musicalement, j'ai bien aimé. Ça manque peut-être un peu du côté crade Ellroyen mais n'ayant pas lu le bouquin, je peux difficilement dire.

American Gangster m'a par contre surprise: Ridley Scott serait-il foucaldien? C'est un film de gangster plus classique: l'histoire de l'ascension puis de la chute d'un type qui décide de prendre le pouvoir. Le contexte historique est là: guerre du Vietnam, déluge d'héroïne in da hood (par contre aucune mention des mouvements type Black Panther, bizarre) et nouveaux rapports de force. L'idée de gangster ordinaire, de business man qui garde un profil bas et la mise en place d'une petite brigade de flics bras cassés casés dans une vieille église où ils font des panneaux de fous avec des photos trop coule ça nous rappelle vaguement quelque chose mais c'est plus nerveux, plus show-à-l'américaine. Deux moments qui nous font douter de l'allégeance philosophique de Scott: 
- une discussion entre un vieux mafieux et notre jeune gangster sémillant, qui reprend l'articulation du libéralisme keynésianiste à la papa et le néolibéralisme émergeant dans les 60's, via l'exemple des quotas laitiers, qui est au centre du cours Naissance de la biopolitique.
- une remarque sur la nécessité structurelle de la délinquance qui soutient au final l'institution qui la combat, laquelle se retrouverait fort dépourvue, ce fléau dût-il être éradiqué - réflexion corollaire à l'analyse du système pénal dans Les anormaux.
Et moi qui ai toujours pensé qu'il était lacanien, ce fourbe!

Point Blank, Boorman, 1967
L.A. Confidential, Hanson, 1997
Amercian Gangster, Scott, 2007

Les Anormaux ( 1974-1975) et Naissance de la biopolitque (1978-1979), cours au Collège de France, M. Foucault.

mardi 1 septembre 2015

Ecran total

Cette semaine, c'était super-héros à tous les étages.

Dans Birdman, le super-héros est un truc en plume, comme celui de Zizi, mais en plus cool. Rôle ayant fait la gloire d'un acteur hollywoodien, il devient encombrant une fois celui-ci passé à autre chose. Bah oui, on est là à penser que ces stars de blockbuster marvelien kiffent leur race à sauter dans tous les sens et à être payés des sommes qui régleraient le problème de la dette publique pour enfiler un costume en latex que même les coureurs du Tour n'oseraient pas s'afficher avec, mais non! Nous ne voyons pas Thor quand il s'endort en pleurant, rêvant à une carrière faite de reprises off de Shakespeare en costume de kabuki, nous ne savons pas que secrètement Iron Man apprend des tirades d'Ibsen en géorgien et que la Veuve Noire, petite, rêvait d'être Marina Abramovic!  Tout ça n'est pas si simple donc. Et ce pauvre Birdman devient un costume schizophrène, pas content d'avoir été rangé au placard par les ambitions artistiques de son incarnation humaine. Au niveau intrigue, c'est donc l'histoire d'une reconversion difficile et à pas mal d'égards ratée, d'un acteur à succès en metteur en scène de théâtre: ses acteurs sont des catastrophes narcissiques sortis d'un mauvais Allen (pléonasme?), la Critique (oui, il n'y a qu'une seule critique qui décide de tout ce qui se passe en théâtre) est une vieille mal baisée,  il n'a plus de sous, sa fille est une traînée et lui-même finit par se faire taper dessus par un Ed Norton en mode Fight Club/slip kangourou dépressif. Le film est tourné comme un plan séquence sans raccords (genre) dans une déambulation infinie des couloirs de coulisses, aux entrée des artistes, en passant par les loges mal éclairées, enfin tout le décorum du Théâââtre. Un côté un peu branlé à la nimp qui fonctionne bien avec l'intrigue: on dirait un peu un réalisateur à succès qui a essayé de faire un film d'auteur et qui en fait un peu trop. Je ne sais pas si c'est un pied de nez gigantesque d'Inarritu à lui-même et au cinéma hollywoodien ou juste un truc vaguement raté. Franchement, je suis indécise ce qui en fait un truc pas si mal.

Venant de Gilliam, on pouvait s'attendre à ce que Jabberwock parle de tout sauf d'un Jabberwock, qui de toute façon n'existe pas. En fait, si, il finit par arriver (et il est pas content), mais le film est plutôt un grand sketch autour du conte de fée et de l'univers médiéval. C'est encore ultra Monty Python, mais pas aussi drôle que les originaux, il y a quelques chouettes trucs, mais dans l'ensemble, c'est un peu bof. Je préfère le projet Jabberwocky de Ted.

Dheepan est lui aussi un  genre de super-héros. Audiard me déçoit rarement, mais j'avais été globalement traumatisée par la nullité de l'adaptation de Rust and Bones, alors sachant qu'on allait se farcir du drame migratoire, dieu que j'étais chafouine. En fait, non. Il y a un moment dans le film où on se dit "Audiard a craqué son zlip, c'est quoi cette vision de la banlieue?" Hé bien c'est celle d'un film qui est un film et pas un documentaire à prétention humanisto-larmoyante visant à nous montrer comment qu'elle est dure la vraie vie des vrais gens. A un moment, on tourne dans du noir ultra violent, genre de Straw Man in da hood, avec quelques scènes - dont celle de l'assaut - hallucinantes de tension, une photo au millimètre près, un rythme taillée à la serpe, enfin une fin qui nous laisse tout liquéfiés sur notre siège. Je trouve d'ailleurs bizarre que le film puisse être réduit à cet aspect "enfin la vérité sur les migrants": franchement, c'est LOIN d'être la pire histoire qu'on puisse raconter à ce sujet, je trouve même qu'ils s'en sortent plutôt bien finalement - si on considère uniquement l'aspect soi-disant réaliste. Si on veut le prendre au premier degré, il faudrait en fait conclure que l'importation d'anciens du Tigre Tamoul est une réponse efficace au problème des banlieues. Hmmmm, comment dire....

Et puis toujours dans la veines nos-amis-les-anciens-soldats-et-leurs-problème-de-PTSD, il y a Jacob's ladder, un truc excellent sur un ancien du Viet (Jacob, donc) qui revient pas tout à fait entier dans sa tête. Bon, il était déjà parti dans un état pas super, alors c'est certain que se taper des mois à croupetons au milieu de types louches (qui sont, eux aussi, tous Charlie, haha) ça n'arrange pas les choses. Tout est filmé dans une sorte de New-York hanté (non, en fait c'est le Red Hook quand c'était pas encore un coin à hipster), désert, vide de toute voiture, de tout repères temporels (saisons ou autres), on suit un héros en pleine décompensation schizo - les époques se mélangent, les unes imbriquées dans les autres sous forme de rêves, avec une piste vers une vérité qui disparaît sous les pas de Jacob. Bon, faut rien réveler, alors je ne dirais rien de plus, si ce n'est que ça m'a étrangement rappelé Angel Heart, pas mal de plans, d'images similaires (la descente en ascenseur), l'idée de l'identité flottante/ perdue, des décors post-indu inquiétants; enfin une atmosphère commune.

Birdman, Inarritu, 2014
Jabberwock, Gilliam, 1977
Dheepan, Audiard, 2015
Jacob's Ladder, Lyne, 1990