vendredi 31 mars 2017

Bon, c'est quand qu'on crève ici?

Le vide à l’intérieur d’une existence autotélique. Dans les yeux des gens, une question un regard qui plaide «  et l’amour ? » Il n’y a pas d’amour, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des histoires, des récits qu’on se raconte, des denrées analysables, des complexes décorticables et des envies remplaçables. On peut tout expliquer, tout intriquer, tout détricoter, tout déterritorialiser. Vouloir encore rêver, se prendre les pieds dans des textes tragiques, se manger la tête avec des idées romantiques et que le ciel est gris quand tu es partie et que la mer est agitée quand tu m’énerves avec tes grandes idées et que je souffre en accord avec le crachin bruxellois gris, bas, une ligne d’horizon unique entre la mer et les nuages…. Mais quelle idée débile. Il n’y a pas d’amour d’abord, il n’y a que du désir, une envie de chair, un corps qui palpite au bout des doigts ; l’interdit peut-être, l’inconnu, sans doute ; il n’y a que des échanges ratés, des messages qui se perdent, des espérances gâchées et des gens qui s’emmerdent (au final). Tous les jours j’en vois, des perdus, des désespérés, des qui –croient encore et qui viennent ici comme on vient à Lourdes, demander, quémander, exiger d’avoir eux aussi leur dose, le droit, leur dû d’amour : mais quoi ! Il n’y a pas d’amour bande de débiles finis à la pisse, on vous vend une idée depuis un  peu plus de deux millénaires pour vous donner l’impression d’exister, mais au final, quand on pèle un peu l’orange, quand on finit par ouvrir l’huître, quand on enlève cette peau de banane qu’est l’amûûûr, on voit quoi ? Un chouia de sexe, souvent même pas génial, un gramme de complexe œdipien mal réglé, un soupçon d’amitié, de complicité – allez, on va dire d’intérêts en commun comme le macramé ou le double gode – , pas mal de peur de perdre, d’être perdu, d’abandonner ou d’être abandonné, et surtout, surtout, une immense, gigantesque, insondable peur du vide, de la mort, d’être seul, de finir bouffé par ses labradors. Voilà, l’amour, chers commensaux. Parce qu’à force de le voir, de l’analyser, de le triturer, de le retourner, j’en perd le nord, les mots et les idées. Plus rien non, seulement une suite de données, de faits, de théories qui s’emboîtent avec une cohérence et une facilité tellement déconcertantes qu’on en vient à se demander ce qu’on a réellement vécu. Il n’y a pas d’amour, ça non. En même temps, j’en vends, j’en propose, j’en deale à moindre de prix pour des drogués du rêves, des fans de rom’com prêts à n’importe quoi pour continuer à avancer les yeux dans le rose. Je fais semblant de régler des problèmes qui n’existent pas, pour des gens qui ne trouvent pas ce qu’ils n’ont de toute façon jamais eu ni voulu. Et moi, j’attends. J’attends peut-être de retrouver cet état béat d’avant ma chute, d’avant ma pomme à moi, malédiction d’un savoir incontrôlable et qui bouffe tout. Je rêvasse en regardant ces imbéciles se rouler dans leur bonheur factice sans savoir qu’ils ne sont qu’une suite de clichés médicaux. Je rêve moi aussi d’un jour retourner à cette bêtise infinitésimale qui nous fait croire que tout reste à venir ; j’attends le gros coup de massue qui m’enlèvera définitivement une partie de mes capacités intellectuelles pour que je puisse à nouveau en être : des gens amoureux, malheureux en amour, suicidés du romantisme, souffreteux du sentiment. Les cœurs dans les messages et les mots doux sous l’oreiller, les disputes mesquines et les jalousies ridicules : putain, qu’est-ce que ça me manque.

mercredi 29 mars 2017

Ecran total

Cette semaine, c'est un peu le retour du printemps et pour moi, des trucs sanglants. Un peu par hasard et dans le désordre: un orange mécanique dans la campagne danoise, une révolte des clodos en mars et de la pulsion scopique que tes yeux te sortent par le psychisme. Miom.

The absent one (ou Hööüthrtegdrä en VO) est issu d'une série de films autour d'une unité d'enquête criminelle de mecs un peu rebuts/loser qui travaillent dans une cave en fumant des havanes et en buvant du mauvais rhum. The Wire much? Carrément, puisqu'en plus d'être une bande de branques, ils s'occupent de cas dont personne ne veut, à savoir des cold case vieux comme la mort que tout le monde a oublié. J'avais déjà vu le premier épisode, Thaezroööä en VO, mais sans être convaincue. Pourquoi avoir sauté au 5e direct, comme ça? Bonne question. Bref. Toujours est-il que je le vis et qu'il est bien. Il y a pas mal de trucs chouettes: un pensionnat flippant, des jeunes méga riches et totalement psychopathes, cette idée un peu conne que les ados sont tous trop beaux et fougueux et pas du tout flaves et boutonneux (genre!). C'est aussi très bien rendu dans l'image, scandinave comme il faut: froid, gris, bleu, vert; des espaces un peu perdus, des villas Ikea et des clodos presque propres. Pas trop de suspense par contre, et une histoire que d'aucuns pourraient trouver un poil téléphonée (les riches sont tout méchants et ils font rien que ce qu'ils veulent, bouh!). Mais ça tient, c'est empaqueté comme il faut, alors quoi.

Les clodos en mode indignés, c'est Prince of Darkness deuxième partie d'une trilogie (tiens?) de Carepenter comprenant aussi The Thing et In the mouth of madness dont on a déjà parlé. L'intrigue est plutôt simple: à la mort d'un prêtre, on découvre qu'il cachait chez lui un cylindre plein d'un truc vert et brillant: bizarre! Ce truc est en fait une substance maléfique caché par l'Eglise depuis deux mille ans (et qui a vu moins de déménagements que mon canapé, vu son état impeccable), et comme on cherche une réponse sur ce que c'est quoi, on fait bien sûr appel à des scientifiques de tous bords – car analyser la semence du diable, c'est clair que c'est plus simple quand on est spécialiste de physique cantique, arf arf. Tout ce petit monde, composé exclusivement de jeunes cools beaux et  chauds comme des bouillottes, comme il est courant d'en trouver dans des départements de recherche en sciences dures, va analyser sous tous les angles ce truc gluant qui fait de l'eau qui tombe au plafond et qui fait se coller les vers de terre sur les vitres (wtf?). En plus de ça, y a des clodos qui se mettent à zoner dans le coin, dans le genre inquiétants, surtout quand ils se mettent à zigouiller nos pauvres petits matheux à coup de fourche de vélo fixies (en voilà une façon hipster de mourir, tiens). Alors, pourquoi, comment et surtout pour qui sont ses cafards qui sifflent sur vos sandales? C'est bien dégueulasse en tout cas, et très réussi, surtout au niveau des insectes qui sont bien gluants. Il y a une belle scène de possession et une fin à la Terminator, mais j'en dis pas plus.

De la pulsion scopique plein les yeux, c'est dans Opera de ce cher Argento, qui est un obsédé des yeux, de la vision et tout ça quand même (quelle bonne idée d'être devenu cinéaste plutôt qu'ébéniste du coup). Bon , il y a déjà pas mal de vision en caméra subjective avec les yeux dans ceux du tueur, pas mal de trucs dégueus avec des yeux dans d'autres films (les paupière cousues dans Felt par exemple), et toujours un voyeur quelque part, tapis dans l'ombre, bouh. Obsessionnel, pépé Dario? Voui. Ici il s'agit de l'histoire d'une jeune chanteuse d'opéra qui récupère un rôle dans un Macbeth top classe et super moderne, avec des vrais oiseaux sur scène, genre Kusturica mais en plus Berlin années 60. Bon, c'est pas vraiment un coup de bol, comme on l'apprendra en voyant ces étranges plans d'un rôdeur qui l'observe dans la nuit en tuant de-ci, de-là, des gens qui se mettent sur son passage. On ne comprend pas vraiment pourquoi et comment ce type a une idée aussi chelou que celle qu'il a (on raconte pas, c'est trop chouette à découvrir) mais disons qu'il y est question de forcer à regarder des choses pas jolies à une pauvre fille qui n'a rien demandé à personne. La technique utilisée est super tordue et on admire donc une fois de plus l'habileté de l'Argento à trouver des trucs inventifs pour faire mal aux yeux et à la pulsion de voir. Dans l'ensemble bien sauf quelques passages un peu wtf dans le genre je me jette dans la gueule du loup comme si c'était les soldes chez Primark.

The absent one, Nørgaard,  2014
Prince of Darkness, Carpenter,1987
Opera, Argento, 1987

vendredi 17 mars 2017

Ecran total

Encore un total amour mais en moins bisous que la dernière fois: le goût de la viande nous a repris, comme ça, sans prévenir alors qu'on est même pas à la moitié du carême, c'est péché. Hé oui, l'amour ça fait mal et ça fait même du sang plein le pare-brise, plein l'assiette ou plein la serviette de plage, c'est au choix.

Du sang plein le pare-brise, c'est dans Night Fare, étonnant petit film français dont je n'avais jamais entendu parler et qui parle d'amour et de taxi. C'est par contre beaucoup moins film du samedi soir que la bonne franchou-franchise Taxi, notre Fast and Furiousse Justin Bridou à nous. Le film raconte une course en taxi qui tourne mal: après deux ans d'absence, Chris revient à Paris voir sa chérie qui s'est entre temps remaquée avec une sorte d'ado gigantesque, genre teufeur de 35 ans un peu pathétique qui a des amis dealers à Clignacourt. Bref. Comme tout est tout à fait normal dans la vie, ces trois personnes décident de passer le weekend ensemble (bah oui, ça va être fun, moi, mon mec et mon ex  en vadrouille, tiens!). Evidemment ça finit mal, mais surtout parce que ces deux crétins décident de taper un dine-and-dash dans  lae taxi qui les ramène je sais plus où. Le taximen mi-taxidriver mi-uber à doudoune sans manches, est pas super jouasse et s'ensuit une série de meurtres tous plus sanglants, acrobatiques et zintéressants. Ca pourrait n'être qu'un anecdotique film de vengeance, mais les 20 dernières minutes en font quelque chose d'un poil plus piquant – même si  d'un point de vue moral  on n'est pas certain  d'avoir tout compris – mais qu'on ne racontera pas ici, parce que c'est pas bien.

Encore une histoire d'ex et de retrouvaille, c'est The invitation, où Will est invité à dîner chez son ex Eden, réapparue elle aussi après deux ans d'absence et un deuil pas super bien géré. Tout ça est bien mystérieux et surtout super awkward, mais bon, visiblement,  weird is cool alors quoi. Eden va mieux, elle a rencontré l'amour au Mexique et est devenue polyamoureuse, vegane et pro-vinyl dans la salle de bain. Son nouveau mec, par contre, est un peu chelou et a des amis bizarres, du genre qui aiment confesser avoir tué leur femme ou qui font des grimaces assis sur les chiottes. Toute cette petite bande va essayer de convaincre leur amis que la mort, c'est cool et que la vie, on s'en fout un peu. Mouais. Will n'est pas dupe, qui trouve tout ça un peu chelou (et il a bien raison, d'ailleurs, où est passé Choi, son délicieux ami coréen? A-t-il été débité en morceaux et mangé sur un petit barbecue de table comme ces indigènes en sont friands?). Entre souvenirs glauques, ambiance, bizarre et jeux à boire dont les règles nous échappent un peu (genre on boit quand en fait?), se tisse une  trame à la Manson dont on sent bien que ça va chier. C'est plutôt bien foutu dans le développement de l'atmosphère, un peu arty dans le genre avec des acteurs pas mauvais:  un film à montrer à tous ceux qui trouvent qu'on doit garder des bons contacts avec ses ex: non, en fait.

L'amour, toujours mais toujours plus bizarre: c'est l'amour maternel  et tentaculaire d'Evolution , film absolument trop génial de fou furieux que j'en suis toute frétillante.  Petite tranche de vie façon Guerre des boutons, d'une bande de gamins paumés dans un village sur un bout de rocher au bord de l'eau: ils jouent, ils nagent, ils vont à l'hosto et parfois ils meurent. Visiblement tous, parce qu'il n'y a dans tout ce petit monde, pas un élément masculin de plus de 12 ans. Alors quoi? Les hommes, ayant compris leur fondamentale inutilité et inaugurale bêtise, se sont-ils jetés d'un seul homme (haha) du haut d'une falaise? Sont-ils tous partis dans un vaisseau spatial pour devenir pote avec les heptopodes? Sont-ils tout simplement à l'intérieur pendant tout le film à jouer à la playstation? Non, c'est beaucoup plus gore. Je préfère rien dire de plus, car le film doit se découvrir. C'est sublime parce qu'il y a beaucoup de choses que j'aime bien: de l'eau, des roches volcaniques, des hôpitaux yougoslaves, et des gens sans sourcils. C'est immobile et lent, travaillé très près de la peau et parfois très loin des corps, au point qu'on perd ses repères dans l'image et qu'on ne voit plus que des petites taches de couleur au loin. Les couleurs sont sublimes, dans des teintes noires, vert, gris plaquées sur du blanc violent et du bleu mousseux. Il y a un certain nombre de plans à se tuer tellement c'est beau photographiquement. Sur le fond et l'intrigue, assez génial aussi, déployé dans un gore plus freak que sanglant tout à fait raccord. Bref, trop biiiiiien quoi.

Night Fare, Seri, 2014                                                                             
The invitation, Kusama, 2015
Evolution, Hadzihalilovic, 2015

dimanche 12 mars 2017

Bisous total

Comme promis, plein de bisous, de câlins et de trucs trop meugnon pour ce mois sans viande et sans violence, parce que c'est mal.

J'ai d'abord vu Arrival, un film que j’attendais avec des frétillements hystériques de la couenne, car enfin, Villeneuve quoi. Ça raconte un truc finalement banal: l'arrivée des aliens sur terre et qu'est-ce qui se passe ensuite. Mais l'histoire est foutrement plus autrement intéressante, parce que, tout de même, Villeneuve quoi. Je sais, j'écris mal, mais la semaine se termine et le cerveau se débine. Bref. Le film est vraiment vachement bien foutu, à plein de niveaux. Du point de vue de l'intrigue même d'abord, puisqu'il prend un point de vue dont on parle peu, sauf dans les très bons films d'alien, à savoir celui de la communication. Bah oui, des créatures d'un autre monde qui débarquent ici, tu leur parles comment? Avec des smileys? Non. Donc l'idée d'une rencontre à travers la constitution d'un langage est plutôt bonne, avec plein de questions que ça soulève (interprétation, traduction, ontologie de base). Il y a aussi l'aspect un peu politique/civilisationnel de comment tout le monde a peur d'eux, tout ça parce qu'ils font rien que communiquer avec leurs tentacules (et qu'ils font genre 10 mètres de haut, aussi). Les créatures sont d'ailleurs très cool, un peu comme les araignées géantes qu'on retrouve parfois chez Villeneuve (Enemy notamment). Après, il y a une histoire d'amûûr trop chou, avec plein de violons et de sentiments (un peu too much, mais pourquoi refuser de se faire chialer finalement) et puis des coups de théâtre peut-être un peu mouais. J'ai lu quelques critiques de fan de Sf méga outrés qu'on puisse faire un film de SF avec des histoire humaines dedans. Heu ouais, d'accord. D'autres encore qui s'offusquent de ce que le film est basé sur une théorie linguistique qui préconise qu'apprendre une langue,c’est apprendre à penser et qu'on ne pense pas de la même manière dans différentes langues. Je connais relativement bien ce courant et ça ne m'est pas venu une seule fois à l'esprit en regardant le film: il faut arrêter de craquer à un moment, c'est un putain de film, pas un exposé scientifique. En gros, c'est beau, ça fait chouiner et ça vibre beaucoup dans le silence assourdissant des mots muets. Voilà.

J'ai poursuivi  avec Manchester by the sea avec le très chou Casey Affleck qui a enterré son frère depuis un certain nombre d'années. Moi je l'aime à cause de sa petite moue qui semble nous dire "mouais chais pas". Meugnon. Bon. Casey est ici Lee, jeune concierge/homme à tout faire qui a l'air de se faire un peu chier dans la vie, sauf quand il se met la race et se bat avec des quidams anonymes dans des bars. Wok'n'woll. Un coup de fil le ramène au pays près de la mer qu'il a quitté pour vivre sa vie de merde. Son frère est mort et le vla embarqué pour se récupérer un neveu genre grand flave ado qui découvre ses poils et joue dans un groupe (très mauvais) de garage, retrouver une ville qu'il a quitté pas dans les meilleurs termes, une ex qui traîne, des souvenirs pas super: tout ça. C'est très beau pour plein de raisons: Affleck, déjà, qui est très bon. Mutique, pas très sympa, renfrogné  mais bizarrement touchant. Il y a le paysage, un coin sur la côté Atlantique, un truc bien froid plutôt triste, un peu paumé. Il y a un côté antipathos, très calme – un peu l'anti-Arrival dans ce sens d'ailleurs – quelque chose de très ordinaire et puis qui se finit un peu meh.


Et j'ai fini avec ce qui aurait dû être l'apothéose de cette semaine trop chou, à savoir Lalaland qui s'avère être un film plutôt naze en fait. Alors oui, j'ai été préjudiciée sans doute ,d'une part parce que je n'avais pas du tout aimé Whiplash, premier long du même Chazelle et aussi un film musical (haha), d'autre part parce que quand tout le monde se met à aimer truc, ça me fait des frissons bizarres (j'appelle ça l'effet Amélie Poulain). Mais c'est pas pour ça que j'ai pas aimé en fait. Déjà, j'ai du mal avec Emma Stone qui ressemble parfois un peu à une grenouille maléfique et puis avec l'autre bellâtre en face, j'étais moyennement emballée. Après, le reste est plutôt banal. Certes, c'est une comédie musicale et c'est donc chou comme tout, ils dansent, ils marchent bizarrement et ils sautent sur les voitures dans les embouteillages. Et puis c'est une histoire d'amour (encore!) alors c'est meugnon et puis ça finit mal mais bien donc c'est un peu tendre-amer enfin dans le genre. Par contre, pour le reste, je peine à voir l'intérêt: c'est finalement assez banal, pas grand chose de nouveau au niveau fond (Hollywood, c'est mal, bouh) et pas non plus renversant musicalement. Meh.

Arrival, Villeneuve, 2016
Manchester by the sea, Lonergan, 2016
Lalaland, Chazelle, 2016