Le vide à l’intérieur d’une existence
autotélique. Dans les yeux des gens, une question un regard qui plaide «
et l’amour ? » Il n’y a pas d’amour, il n’y a pas d’amour, il n’y a
que des histoires, des récits qu’on se raconte, des denrées analysables, des
complexes décorticables et des envies remplaçables. On peut tout expliquer,
tout intriquer, tout détricoter, tout déterritorialiser. Vouloir encore rêver,
se prendre les pieds dans des textes tragiques, se manger la tête avec des
idées romantiques et que le ciel est gris quand tu es partie et que la mer est
agitée quand tu m’énerves avec tes grandes idées et que je souffre en accord
avec le crachin bruxellois gris, bas, une ligne d’horizon unique entre la mer
et les nuages…. Mais quelle idée débile. Il n’y a pas d’amour d’abord, il n’y a
que du désir, une envie de chair, un corps qui palpite au bout des
doigts ; l’interdit peut-être, l’inconnu, sans doute ; il n’y a que
des échanges ratés, des messages qui se perdent, des espérances gâchées et des
gens qui s’emmerdent (au final). Tous les jours j’en vois, des perdus, des
désespérés, des qui –croient encore et qui viennent ici comme on vient à
Lourdes, demander, quémander, exiger d’avoir eux aussi leur dose, le droit,
leur dû d’amour : mais quoi ! Il n’y a pas d’amour bande de débiles
finis à la pisse, on vous vend une idée depuis un peu plus de deux millénaires pour vous donner
l’impression d’exister, mais au final, quand on pèle un peu l’orange, quand on
finit par ouvrir l’huître, quand on enlève cette peau de banane qu’est
l’amûûûr, on voit quoi ? Un chouia de sexe, souvent même pas génial, un
gramme de complexe œdipien mal réglé, un soupçon d’amitié, de complicité –
allez, on va dire d’intérêts en commun comme le macramé ou le double gode – , pas
mal de peur de perdre, d’être perdu, d’abandonner ou d’être abandonné, et
surtout, surtout, une immense, gigantesque, insondable peur du vide, de la
mort, d’être seul, de finir bouffé par ses labradors. Voilà, l’amour, chers
commensaux. Parce qu’à force de le voir, de l’analyser, de le triturer, de le
retourner, j’en perd le nord, les mots et les idées. Plus rien non, seulement
une suite de données, de faits, de théories qui s’emboîtent avec une cohérence
et une facilité tellement déconcertantes qu’on en vient à se demander ce qu’on a
réellement vécu. Il n’y a pas d’amour, ça non. En même temps, j’en vends, j’en
propose, j’en deale à moindre de prix pour des drogués du rêves, des fans de
rom’com prêts à n’importe quoi pour continuer à avancer les yeux dans le rose. Je
fais semblant de régler des problèmes qui n’existent pas, pour des gens qui ne
trouvent pas ce qu’ils n’ont de toute façon jamais eu ni voulu. Et moi,
j’attends. J’attends peut-être de retrouver cet état béat d’avant ma chute,
d’avant ma pomme à moi, malédiction d’un savoir incontrôlable et qui bouffe
tout. Je rêvasse en regardant ces imbéciles se rouler dans leur bonheur factice
sans savoir qu’ils ne sont qu’une suite de clichés médicaux. Je rêve moi aussi
d’un jour retourner à cette bêtise infinitésimale qui nous fait croire que tout
reste à venir ; j’attends le gros coup de massue qui m’enlèvera
définitivement une partie de mes capacités intellectuelles pour que je puisse à
nouveau en être : des gens amoureux, malheureux en amour, suicidés du
romantisme, souffreteux du sentiment. Les cœurs dans les messages et les mots
doux sous l’oreiller, les disputes mesquines et les jalousies ridicules :
putain, qu’est-ce que ça me manque.
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