mardi 4 novembre 2008

Punk rock ist nicht Tod?

Punk solitaire, banlieue de Erevan, Arménie (2007)

Je viens d’achever la lecture, éprouvante, d’un pavé commis par Benoit Sabatier, rédacteur adjoint de Technikart, Nous sommes jeunes nous sommes fiers. Bon pour tout avouer je ne l’ai pas vraiment fini, j’ai dû me rendre aux alentours de la page 390 et j’ai parcouru le reste en diagonale. En effet, le bouquin, pour intéressant qu’il soit est carrément un pensum à lire dans sa totalité. Raison pour laquelle je n’en suis venue à bout que maintenant alors que je le possède depuis au moins un an.

Si ce livre est remarquable pour tout un tas de raisons, il est tout autant improbable dans son style. Remarquable d’abord : l’ambition de l’auteur qui est de retracer une fresque de la culture jeune « d’Elvis à Myspace ». Hénaurme, me direz-vous. En effet, c’est gigantique et on peut dire que le boulot de documentation est carrément plus qu’à la hauteur de cette idée : des millions d’anecdotes, de dates, d’interview éclectiques, de références. Une bible pour tout qui a le même âge que moi et donc n’a connu ni l’esprit canal, ni les années 80, ni les collants discos, ni l’idolâtrie pour My Bloody Valentine ; pour toute personne à qui Gerda 85 n’évoque rien de plus qu’une ado mal dégrossie à la mèche new-wave errant dans les terrils.

On retrouve ici un parcours extrêmement passionnant, plus sociologique que musical, avec cette proposition tout à fait affriolante : comment la culture jeune est elle passé du statut subversif au statut de culture de référence ? Avec évidemment quelques petites marottes de notre cher rédac : Taxi girl, une obsession qui confine à la quête intermittente, les Stinky Toys, Kraftwerk et les machines, Christophe (!) l’explosion punk et les Inrocks. Plusieurs passages se démarquent très nettement du reste, parce qu’ils présentent des faits minimes relatés dans une relative clarté structurelle, comme par exemple l’histoire du collectif Bazooka, des pages culture de Libé, de l’ascension du Grand Jack (Lang, bien sur).

Mais. Parce que mais il y a évidemment.
Le problème, et il est de taille, est que c’est illisible. A force de vouloir tout citer, tout dire, parler de tout, on a parfois l’impression de parcourir un genre de bottin mondain atemporel, œuvre d’un namedropper fou : des énumérations interminables, des dates qui partent dans tous les sens. Si ça peut tenir dans une critique d’une page, la sur-réferentialité fait mal à la tête au bout de 60. Et on finit par avoir un peu l’impression qu’on se fout de nous : finalement, à part des noms à n’en plus finir, où est passé le contenu ? On se sent un peu eus, d’avoir le vague sentiment que ce maelstrom d’infos est destiné à noyer le poisson. Et le bébé avec le poisson dans l’eau du bain. Ça c’est la première chose.

L’autre est cette espèce de façon d’écrire à la punk, avec des phrases lapidaires, des expressions fulgurantes, des sentences définitives. En gros, Sabatier nous explique en sous-mains qu’il aime bien Yves Adrien.

Si le style gonzo punk est une chose admirable, n’est pas Burroughs qui veut. La proposition d’écrire en collant avec la réalité d’une musique qui révèle au grand jour cet engloutissement, cette auto-annihilation totale est en elle-même, que ce soit conscient ou pas, une remarquable réflexion sur l’art : faire face à l’abîme, à la béance ; traduire en mots la fêlure. On y reviendra dans le toujours hypothétique article sur le rapport au Réel dans le post rock noizy. Le problème est de vouloir « faire-genre », dans un espace totalement hors-contexte et de le faire comme un bon suiveur- forcément en dessous. Déjà à l’époque Pacadis n’était qu’un deuxième Adrien. Et cette écriture qui vise à faire mouiller les petites bourges qui lisent Libé en faisant passer chaque ligne comme un flash d’héro est par certains côtés, si pas désuète en tout cas assez pathétique dans le contexte actuel. Parce qu’alors on se retrouve avec des phrases « choc» qui nous font un peu peur. Festival de métaphores, florilège de jugements à l’emporte-pièce, michpopote d’impératifs catégoriques kantiens ; bref, « Soit punk, jeune! »

Le pop n’est pas hexagonal. Etre pop en France, c’est être marginal. Branché. [Hou ça m’excite alors ça]

Le punk, une menace jeune pire que le vieux communisme. [Maman!!]

En 1984, la culture jeune, ce sont les jeux du cirque. Dans l’arène, un taureau, hagard : le rock. MTV plante ses banderilles. [Olé]

La techno et la house sont des mouvements radicaux. [Wow. Envoyé didon]

Et, last but not least :
Ce qui reste des 2be3, c’est ce constat industriel : l’alliance entre la télévision et une major ne peut que rapporter des sous, beaucoup de sous, le public n’a pas le choix, ses goûts n’ont aucune sorte d’importance, le public achète ce qui est matraqué dans sa lucarne.

Faut se lever tôt quand même pour allonger des platitudes pareilles.

En définitive, ce qui rend l’ensemble gavant c’est cette pseudo écriture de la fulgurance qui retombe complètement à plat, qui ne veut plus rien dire à part pour les étudiantes en commu qui apprennent le bouquin par cœur dans l’espoir de se faire sauter par un quelconque pigiste à Tech pour enfin accéder au sacré Graal : le métier d’attachée de presse.

Il y a ce décalage temporel, il y a surtout de l’absurdité à écrire 500 pages comme ça, il y a enfin une question de génie. Tout simplement. Lester, l’illuminé kamikaze, Adrien, l’halluciné électrique – et avant eux, Burroughs, Kerouac, Ginsberg, et encore Joyce- n’auraient pas pu écrire autrement : ils font partie de ces gusses qui ont flirté avec la Jouissance et qui ont funambulé au-dessus, ou même en-deçà des limites du verbe, ils ont transcendés et bouffé l’innommable et c’est ce face à face qui leur a intimé cette urgence du Mot, cet absolu de la mort entre les lignes. Pacadis a au moins eu la grâce de mourir dans un caniveau, le mythe est intact. Mais de la part d’un petit trentenaire qui doit probablement avoir des Sicav, un prêt hypothécaire, une machine à expresso et des sueurs en entendant parler de la crise, le côté "ponque" tombe à plat, et se dégonfle lamentablement, comme la baudruche satanique de Spinal Tap dans l’épisode des Simpsons.

On peut cependant remarquer avec joie une certaine rebelle-attitude orthographique, qui fait passer Anarchy in the UK pour le générique des Teletubbies : oser écrire « Il a antonné une chanson », là je m’incline. Définitivement Rock’n’roll.

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