mercredi 24 décembre 2014

Ecran total

On n'a toujours pas très bien compris le principe de A field in England: en gros, des types sont dans un champ (en Angleterre) et cherchent un trésor. A la fin, y'en a qui meurent, puis ils reviennent au début et ils sont de nouveau vivants. Venant de Wheatley, on a vainement attendu un twist de malade qui transforme un film historico-ironique en truc de grand malade, mais non. Il y a bien une petite demi-heure de montage psychédélico-arty (encore là, déception: l'avertissement aux épileptiques de début de film laissait présager un truc bien violent visuellement). On sent un peu l'entourloupe: le scénar' est en fait un truc pondu par le petit neveu de Wheatley: c'est presque ça, c'est une oeuvre de sa meuf. Bon, il reste que c'est magnifiquement réalisé, toujours avec un ton fendard et des images démentes - un champ dans la brume, un champ au lever du jour, un champ au couchant, mais très beau, très atmosphérique. Il manque un peu d'action, dommage pour le filon sorcellerie, potentiellement bien parti pour être un méga trip mais finalement pas exploité à fond. Y'a des beaux costumes aussi.

J'ai lu The Getaway du génialissime Thompson il y a un moment - l'intrigue n'était donc pas trop fraîche mais je me souvenais globalement d'une histoire d'embrouilleur qui se fait embrouiller et le road trip de couple vers le Mexique. L'adaptation est pas mauvaise: on retrouve le côté cow-boys braqueurs en folie et les chassé-croisés entre différentes factions aux trousses d'un seul pauv' Steve McQueen et de sa gonzesse qui fait la moue constamment. Quelques séquences du début - le générique en prison par exemple - sont splendides, montées avec un rythme impec et une souplesse d'alternance vraiment épatante. L'aspect montage alterné se dilue un peu, mais persiste comme principe de fond entre les différents itinéraires empruntés par les amoureux, le braqueur amoché et leurs boss un peu vénères. J'ai halluciné en découvrant Al Lettieri qui a une gueule faite pour jouer un méchant thompsonien: sa présence transpire le malsain, le dégueu bien gras. La petite troupe qu'il trimballe, un vétérinaire soumis et sa femme aux gros poumons complètement mystifiée par tant de dégueulasserie donne un truc bien sale qui compense un peu le côté neuneu de la fin.

Still Life est un avant tout un film photographique. Profitant d'un des avantages largement sous-estimés de la Chine contemporaine, à savoir son industrialisation complètement sauvage qui crée des paysages post-apocalyptiques à foison, Zhangke déroule un scénario somme toute simple - des gens qui cherchent quelqu'un qu'ils ont perdu de vue - dans un cadre tellement dingue que ça en devient fantastique (ce qui explique les vaisseaux spatiaux). Le ressort, c'est le lieu: un barrage géant, construit sur le Yangtze et dont la construction a noyé des villes entières. On arrive en fait au milieu du développement du barrage, puisque l'eau devrait encore monter: du coup, entre ce qui a déjà été noyé (et les habitants déplacés un peu au pif) et ce qui va l'être, les barres d'immeubles qu'on démonte, réduit en pièces et les gens trimballant leur bordel vers d'autres contrées plus vertes (ou en tout cas, plus hautes) on est toujours à deux doigts de la fin du monde. Le tout est montré de façon très sobre, sans dramatisme ni chouinage existentiel: des longs plans immobiles, silencieux, des cadrages monstrueux de villes à moitiés démolies, des images complètement dingues d'une mégalomanie architecturale difficile à mesurer. Là-dedans, des petits bonhommes se baladent, au gré du fleuve, à la recherche d'un mari, d'une fille perdue de vue. On se doute bien que ça ne finira pas toujours bien, mais une certaine résignation calme règne des hommes impassibles comme le fleuve.


A field in England, Wheatley, 2014
The Getaway, Peckinpah, 1972
Still Life, Zhangke, 2006

Aucun commentaire: