samedi 28 février 2015

I am the walrus

Je ne connais pas forcément bien Kevin Smith, si ce n'est un vague souvenir de Dogma et un excellent souvenir de Red State, redneck-pulp-slasher-catho de feu - tout c'que j'aime. On m'a mis Tusk sous les yeux sans préavis: je savais seulement qu'il y avait un morse. Comme c'est un animal que j'affectionne particulièrement, j'étais curieuse de savoir comment ça tournerait.

Un animateur de radio-web -l'affreusement irritant Justin Long- gros branleur de son état, rendu célèbre par une émission trasho-potache qu'il anime avec son pote grassouillet, le toujours utile pote-moins-mignon-mais-en-fait-qui-emporte-tout, part faire une interview au milieu de nulle part (genre, le Canada) qui merde et se retrouve à chercher le sujet qui tue chez un vieux pépé qui raconte des histoires. Des histoires de morse *suspense*. On n'en dira pas plus, ce serait du gâchis. A partir de là, ça part en film d'horreur carrément inventif, mais ça ne reste jamais loin d'un truc plutôt rigolo- l'arrivée d'un détective québécois (?) inclassable, les tonnes de références sous forme de caméo, un bon vieux foutage de gueule aux dépends du Canada, plein de petites répliques. 

Du point de vue littéraire, c'est intéressant puisque ça reprend quelques obsessions purement américaines. Le personnage du vieil aventurier qui traverse les océans, avec pour tout bagage sa bite et son couteau, se cognant ça et là aux méandres de l'histoire humaine - pas étonnant qu'on retrouve Hemingway dans un coin-, le jeune chien fou pris dans son propre mythe du gonzo trop classieux et puis la quête melvilienne absurde d'un animal légendaire et monstrueux. Le truc, c'est que le paradigme est complètement détourné: le vieil aventurier n'est au fond qu'un simple raté, balancé de gauche à droite, commis de cuisine qui ne vit des instants décisifs que par procuration ou par hasard, le jeune journaliste est finalement une grosse merde dont le talent consiste surtout à faire des pets avec sa bouche, et Moby Dick est carrément pris à rebours - quoiqu'on pourrait affirmer, sans faire son Lacanien, que cet envers constitue probablement la vérité de l'oeuvre originale, héhé. L'élégance du film réside dans ce que le détournement n'est ni un mépris, ni une ironie, ni une façon de tourner en ridicule: il y a de la douceur dans le regard de Smith, une certaine tendresse pour ces personnages perdus dans une légende littéraire qui les dépasse. Enfin, c'est beau quoi. Et c'est drôle. Et ça pose pas mal de questions anatomiques inédites.

Tusk, Smith, 2014


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