mercredi 6 avril 2016

L'émotion qui vous hante

Voilà, je m'y mets enfin - le cycle total ultime de la mort, à savoir le paquet de films cités par les quidams interrogés par les Cahiers pour leur numéro 700. On va pas se mentir, y'a pas grand chose de cohérent à l'affaire et la sélection est parfois carrément random, ce qui fait en partie sa beauté. Il y a surtout pas mal de classiques que je n'ai jamais eu l'occasion de voir, alors y'a plus qu'à.

La Strada pour commencer, qui raconte encore une histoire de cirque et de clown triste, avec ce baroque un peu mélancolique sur les bords qu'est ben joli. Donc: la petite Gelsomina ( ça s'invente pas) se retrouve un peu par hasard, un peu parce que sa mère l'a refourguée au veuf de sa première fille, à faire la route avec un forain ambulant pas commode qui casse des chaînes avec son torse hénaurme. Dormir dans un camion, se laver dans des éviers et jouer de la trompette sur la place publique, c'est la vie de rêve du spectacle vivant, mais en fait non: le forain est méchant comme un pou, parfois soul comme un cochon et sa conversation pas bien brillante. La petiote promène sa bouille de Pierrot qui chouine jusqu'à ce qu'elle tombe sur un autre forain, plus chamarré et funambule de son état qu'elle en ferait bien son quatre heures. Du coup: jalousie, bagarre, pim, paf et tout ça finit très mal. Alors Fellini, ça me fait un peu chier en général donc mouais mais: c'est très beau, surtout dans cette figure de petite fille (?) atterrie sur Terre on ne sait trop comment, ses yeux qui lui mangent le visage et son sourire d'un autre univers. C'est un parangon d'innocence sacrifiée et assassinée, une sorte de parabole déambulatoire - enfin, un truc complexe, quoi. Mais joli!

On a parlé de Cool Hand Luke récemment, parce que quelqu'un est mort qui avait fait un truc dedans (j'ai trop la flemme de chercher qui et quoi) mais donc, tiens le voilà! C'est un film foucaldien à mort sur la prison comment c'est trop méchant et tout ça, mais pas que. Luke est un petit rigolo qui se fait arrêter pour avoir déboulonné des têtes de parcmètres - plutôt joli à voir, il aurait pu le faire passer pour une performance, eût-ce été dans d'autres circonstances, mais bon voilà: il finit en zonzon, dans une colonie de taulards qui coupent de l'herbe le long de la route. Pas top, mais au moins on voit du paysage, me direz-vous. Cette petite bande est dirigé par l'homme sans yeux, un contremaître méga méchant planqué derrière des Aviators à reflets d'argent. Gloup. Heureusement, Luke qui porte bien son nom, reste cool et joue au GO pour ses potos au mitard: concours de bouffage d'oeuf, course à l'asphaltage de route et évasion fiscale, heu non, finale. Parce que Luke parvient à se barrer non pas une mais deux fois. Et à se refaire choper à chaque coup. Alors à la deuxième, l'homme-sans-yeux décide d'en faire son affaire et commence le matage de ce pauv' Luke. Succombera-t-il ou restera, tel Diego, libre dans sa tête? Suspense! C'est vraiment pas mal fait comme truc léger et doux dans un premier temps avec une gravité qui vient tellement subrepticement qu'elle surprend quand on se rend compte de son étau. Newman traverse le film avec sa petite moue goguenarde assez démentielle pour le rôle. Et puis le méchant est vraiment, ben méchant quoi.

Ordet,  enfin. Alors le pitch est pas ultra sexy: des danois, des filles à marier et des chichis religieux, heu voilà. Une petite famille de fermiers cherche à marier son gamin avec la fille du tailleur, mais pas de bol, celui-ci ne veut pas d'une chienne d'hérétique dans sa troupe et renvoie les amoureux aux calendes grecques et maudit en passant le père qui refuse de voir la lumière, avec cette intelligence typique des croyants bien fanatiques: " Toi mon pepère, j'espère que tu vas bien en chier dans la vie pour comprendre comment Dieu c'est de la balle". Moui. C'est un peu un argument qui s'autodétruit, mais bon. Du coup, bah la famille du fermier va évidemment en chier, mais va-t-elle trouver Dieu (enfin, le bon?) Suspense! Et twist final de fou, d'ailleurs. C'est vraiment très beau, mais très, très, trèèèèèèèès lent. Il y'a une scène de chirurgie dans laquelle on voit un médecin être en mode "putain il faut la sauver" mais avec une lenteur qu'on croirait voir un ado plein de shit essayer de faire ses lacets sans glousser. Bon, ça fait partie de la dramaturgie Dreyer, donc on ne dira rien. Il y a cette figure christique du deuxième fils, rendu fou mystique par la lecture de Kierkegaard - c'est presque drôle, en fait - mais très beau, évanescent et hiératique comme une sculpture italienne, et puis dans la lenteur, un silence qui insiste et qui souffle entre les planches. 

La strada, Fellini, 1954
Cool hand Luke, Rosenberg, 1967
Ordet, Dreyer, 1955 

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