C’est un pur hasard de calendrier, mais la diffusion combinée de deux
séries pré-apocalyptiques qui parlent toutes deux d’un futur proche dominés par
des AI maléfiques ne pouvait pas mieux tomber : que dire de Westworld III et DEVS donc ?
A première vue, ces séries ne racontent pas vraiment la même chose :
DEVS est un thriller numérique autour
d’un programme top ultra secret développé par un gourou new-age type Silicon
Valley tandis que Westworld, déjà à
sa troisième saison, prenait le chemin d’une révolte des robots échappés d’un
parc à thème contre leurs créateurs.
On avait bien aimé Westworld,
la saison 1 était super bien foutue, visuellement et scénaristiquement, les
personnages impec, des super twist et un peu de réflexion çà et là. La base
existait déjà (le film de 1973 avec l’inénarrable Yul Brynner). La deuxième
saison nous avait laissés un peu confus : trop de fils narratifs, trop de
niveaux temporels différents, des trucs qui se tenaient de moins en moins au
niveau concept – ça commençait à ressemble à un cahier de charge à la GoT, à
savoir une grosse bagarre par épisode + des répliques sentencieuses sur la vie,
la mort, tout ça. Beaucoup de twist aussi, surtout sur le thème « En fait,
c’était un robot tout du loooooong mince alors ».
La saison 3 fait la même chose mais en mille fois pire : les robots
sont toujours de robots mais presque des méta-robots parce qu’en plus la
réalité dans laquelle ils évoluent est elle aussi une simulation d’un
laboratoire dans lequel on fait des robots. Woua. Les super-robots sont donc
sortis dans le monde réel (mais est-il vraiment réel ? Mystère !)
pour on ne sait pas trop quoi faire – reprendre le contrôle du monde ?
Vivre libre comme des bons robots ? Buter tous les humains ? – ce qui
est certain c’est qu’ils sont vénères. A partir de là, le truc part en sucette
narrative à une vitesse comparable à la propagation d’un virus à R = 10 pour
finir par ressembler à un croisement entre Fast’n’Furious
et Transformer avec pour thématique
de fond Das Grösse Ordinatëur qui contrôle notre destin et quoi alors,
sommes-nous encore libres, que diable ! Tout ça par l’intermédiaire d’un
CEO ténébreux zet machiavélique qui apparaît via des hologrammes car il est
avant tout français et qu’est tellement méchant qu’il a enfermé son frère, le
gentil Jean-Mi (Jean-Mi, on t’aime !). Les deux héroïnes principales, sont
féminines, pink washing oblige, mais ne sont au final qu’une seule et même
personne. Ou pas. Je n’ai plus essayé de comprendre. Enfin bref, elles se
battent au sabre non pas une mais deux fois (une bagarre par épisode), c’est
joli, ça fait mauvais film de kung-fu et l’occasion pour des réalisateurs sans
doute poussés par l’idéal féministe de mettre deux nanas en justaucorps
tellement moulant qu’elles doivent avoir du mal à respirer à l’honneur. Clap
clap. Je n’essaie même pas de relever les trous du scénario, à partir de l’épisode
4, il devient clair qu’on n’en a plus rien à foutre, et que tout est surtout
prétexte à faire des courses en bagnoles volantes, en moto intelligente, et à
sortir des gros flingues bien phalliques.
DEVS de son côté est à l’exact opposé du spectre cinématographique :
hyper lent, contemplatif à mourir, avec un visuel très chiadé, une action parfois
inexistante – y a un épisode dont la seule action = une discussion autour d’une
table de salle à manger – et des personnages dans un anticlimax constant. L’intrigue
est relativement simple : Sergei, développeur trop cool est invité à
bosser sur un projet hyper top secret pour un gourou de la tech – joué par Nick
‘Ron Swanson’ Offerman, il faut un petit moment pour s’y faire. Le soir de son
premier jour, paf, plus de Sergei. Sa copine, qui bosse pour la même compagnie,
décide d’en savoir plus. Et à la fin elle en sait plus. C’est tout. Le projet
top secret en question est bien évidemment en rapport avec la construction d’une
super AI de fou qui devrait permettre de reconstituer un univers parallèle avec
les mêmes coordonnées que le nôtre (et donc dans lequel toutes les actions à
venir sont déjà déterminées). De nouveau, on se questionne sur notre libre
arbitre, qui sommes-nous si tout est décidé, pourquoi vivre et tout ça. L’angle
est un peu plus intello que Westworld
puisqu’on se bagarre sur les mérites respectifs de la théorie de l’infinité de
mondes possibles et le déterminisme absolu. D’ailleurs, on peut se demander
pourquoi un type qui veut reconstituer un monde parallèle pour réparer le monde
réel (dans lequel il a perdu sa fille et sa femme) refuse absolument que ce
monde simulé diffère du réel. Parce que du coup, bah, il va quand même avoir
perdu sa femme et sa fille, non ? Enfin. Tout ça me passe au-dessus de la
tête, car comme dans beaucoup de séries sur la tech, on essaie surtout de vous
montrer que tout ça est trop compliqué pour vous de comprendre. Bref.
Ce qui est commun au final dans ces deux productions, c’est cette idée
qu’il existe et ce dans un futur relativement proche, la possibilité qu’une
méga AI soit tellement évoluée au niveau algorithmique, présente au niveau
surveillance, et puissante au niveau processing de données, qu’elle soit
capable de prédire l’avenir. Nos comportements, nos réactions, les événements
fortuits, le cours de la bourse et la date de péremption du gouda. C’est assez
génial que ces deux projets soient diffusés à un moment relativement apocalyptique
causé par un truc aussi con qu’un virus et l’incapacité assez générale à y
faire face – qui aurait, dans ce cas précis, consisté à faire preuve d’un
minimum de prévoyance. On a tout vu venir mais rien prévu en gros. Mais par
contre, tremblez peuples de demain, car des super AI vont contrôler votre
destin. Quand on constate qu’une épidémie va être gérée par des états modernes
grâce à des « systèmes » de « tracking » qui sont en gros
des fichiers excel remplis par des agents via google doc, je crois qu’on
peut dormir tranquille : le libre arbitre et la libre connerie ont encore de
beaux jours devant eux !
Westworld, Nolan, 2019
DEVS, Garland, 2019