jeudi 8 mars 2012

We are educated in pain

SanVa Hospedaria, Macao ( 2011)

Nous tournons dans un anneau de lumière vacillante, les pieds écartés, les poings serrés, les genoux pliés. La foule recule, tout comme les bruits qu’elle fait. Le seul son qui subsiste est une pulsation souterraine et distante, le battement du cœur d’un géant. Une brume argenté et tremblante tombe à travers les trous du toit et cette froideur me paraît agréable sur la peau. [….] et, l’espace étincelant d’un instant, au centre de ce ring toujours plus sombre, nous nous reoncontrons.

Y a pas longtemps, comme ça, entre deux bières et deux autres, je discutais le bout de gras- ou plutôt avec un bout de gras, entre les dents, à la belche quoi-  que je ne trouvais rien à lire en français. Bon, rien, c’est évidemment une métonymie synecdoquique, puisque y a plein, non, quand je dis rien, c’est rien qui soit sorti récemment. Qu’est-ce-à dire, d’aucuns ?

Je me suis rendue compte que tout ce qui sort en littérature française est d’une nullité assez affligeante (sauf quelques uns, qui sont la plupart publiés dans des maisons d’éditions tellement minus que la femme de ménage relit les manuscrit et ergo qui ne sont peu ou prou ou pas distribués). La nullité tient à ceci qu’on traverse période de grand déballage mievro-sentimental-de-ta-life-qu’elle-intéresse-personne Genre ! T’as qu’à faire un blog tant que t’y es ! Y’a des gens qui ont assez de culot pour parler de néo-romantisme, j’t’en foutrais, tiens ! d’autres qui analysent d’un ton docte le retour de la confession et des gens simples, comme moi qui savent –depuis un bout de temps- que la littérature française n’a plus de couilles ( si tant est qu’elle en ait jamais eu). Sans rire cette fois. Je parle bien sur pas des Musso/ Levy/ … qui produisent à la chaîne des sortes de romans de gare vendus très chers, mais de gens qui se vendent (se positionnent) comme littéraires ( Courage fuyons !). Je ne donnerai pas d’exemple, j’en ai marre de cette intro qui n’avait qu’un seul but : vous dire que du bien d’un auteur que j’ai découvert y a un petit temps déjà, et qui écrit des bouquins avec couilles qu’on dirait qu’il bouffe des rognons de nains le matin au p’tit déj’ : Craig Davidson. Ha oui, c’est ça le rapport avé l’intro : l’est pö français, eul’ptit.

Davidson a publié en 2005 un recueil de textes Rust and bones  qui avait beaucoup fait parler la presse hype lors de sa sortie en français : probablement parce que Ellis s’était fendu d’un gentil com’  sur sa page facebook, mais bon. Je me suis procurée ce livre et comme pas mal d’autres, je l’ai rangé quelque part et oublié. Il y a environ 6 mois, je suis – ou plutôt il est, vu l’équilibre précaire dans lequel survivent mes livrouchoux - retombée dessus et bah, je l’ai lu.

Là, gros malaise. Le truc est puissant, physique, corporel, gerbatif, tripique, mais hallucinamment bien écrit, rapide, fluide doux et délirant, absolu et irradiant. Bref, quand je suis descendue du train, j’étais malade. J’ai fais ce qu’il fallait, puis je l’ai relu. Au moins trois fois depuis, ça marche encore. Du coup j’ai acheté l’autre, le roman sorti en 2006 dans sa version angliche. Bam. Même baffe. Avec mon Thésaurus Oxford ( <3 hiiiiiiii <3 ) parce que c’est pas de la racaille, là, le Davidson. J’ai pourtant lu pas mal de trucs immondes ( genre Palhaniuk dans Haunted dans lequel un mec perd une partie de son estomac, aspirée par la bonde de la piscine sur laquelle il est assis pour se branler parce que c’est le seul truc qui le fasse décoller- c’est assez beurk)  et pourtant Davidson réussit  grave bien à me surprendre. Pourquoi ?

Le premier truc, c’est que c’est trash sans être crade ( Palhaniuk qui nous fatigue un peu d’ailleurs), sans être écrit sous influence ( impigeable Burrough), sans être une suite de récits du méta-moi de l’auteur mégalo (bourrant Ellis), sans être écossais (écossais Irving) . Un des thèmes favoris de Davidson, c’est la boxe- sujet principal de The Fighter, titre assez logique. La boxe, on peut en parler de plein de façons différentes : raconter ce qu’il y a autour, les salles bondées-suintantes-enfumées-suffocantes, les bookers, les combats illégaux, Jean-Claude Van Damme : bref, c’est finalement aussi casse-gueule que n’importe quoi d’autre.

Et là, c’est le deuxième truc qui fait que c’est probablement le meilleur-auteur-du-monde-et-je-veux-l’épouser : c’est pas juste de la boxe, avé des types qui se tapent eud’ssus. Non, dans la boxe, ce qui lui plait, c’est pas le combat, c’est la métaphysique de la boxe : ce type n’écrit pas sur le sport, sur le milieu, sur l’histoire, il écrit sur l’essence de la boxe réduite à ceci : des os et de la chair. Parce que l’espace du ring ramène toute existence humaine à son insignifiance asbolue. C’est la rencontre des corps dans leur fragilité et leur médiocrité dès qu’ils montent sur un ring.  La capacité qu’ont des hommes à devenir des machines à frapper dans un carré 4 sur 4.  

Mais au-delà du cliché – « Je-ne-suis-qu’un-homme-et-rien-que-ça-quand-je-monte-sur-un-ring-et-par-ceci-je-découvre-mon-vrai-Moi-que-je-vais-aller-partager-avec-mes-amis-übersexuels-autour-d’un-verre-de-kombucha  » - Davidson crée un véritable paradoxe, en mettant en place ce qui est pour moi le paradigme qui le définit le mieux : le passage à la limite.  Le combat, porté à un certain stade, c’est la sortie de toute finitude humaine qui s’opère le temps d’une dizaine de rounds. Il y a une limite, imperceptible au-delà de laquelle le fighter est plus que « Juste un homme » ( traduction française du titre). L’au-delà de la douleur. La frontière fine entre ce qui relève de l’humain et ce qui le dépasse.

“ The thing facing him was nothing but a bag of skin and bone and gristle and blood and Rob wanted to inflict as much damage upon it as was humanly posible- as was inhumanly possible- smash and bash and crush and wreck until nothing of value remained”
 Partout, des frontières. Celle qui fait passer de l’homme à l’animal quand explose les derniers centres nerveux. Celle que l’on passe la nuit pour combattre dans un autre pays (toujours une rivière, un pont, un cours d’eau à traverser : Mexique et Canada sont systématiquement séparés des USA par l’eau, l’espace de laquelle est indéfini). Celle de l’amour paternel qui se transforme en sabotage parental. Celle du combat illégal qui ne peut exister qu’en eaux internationales ( hors-frontière asbolu).

La dernière limite, celle de la peau qui retient la chair, qui fait barrage au sang, la peau en lambeaux qu’on imbibe d’acide ferrique, les tendons qui maintiennent des bout d’organes attaché au corps, la chair en bouillie des mains dont les os ont implosé sous les coups. L’image parangonique serait celle de la chair réduite en purée, contenue par la peau comme ultime rempart à l’explosion.
« Here you might see an overmatched  fighter struck a blow so vicious it cracked the orbital bone and push his eye from its socket, the blood-washed eyeball swinging on its optic nerve like a lacquered radish”
 La peau, toujours en début des textes, toujours en ouverture comme interface entre le normal et l’irréel, la souffrance et son dépassement : peau marquée au rasoir, brûlée à la chaux, ciselée, coutelée, imbibée de coagulant pour éviter le premier sang disqualificatoire. La peau comme histoire de la douleur et fragile toile tendue entre le monde et l’homme. Ce que ce type fait en écrivant, c’est ça : rentrer sous la peau. Sans pitié d’ailleurs, que ce soit pour les personnages ou le lecteur, tous voués à crever, qui sur le sol en terre battue d’un ring thaïlandais clandestin, qui pantelant d’épuisement dans la course au sens qui constitue la plupart de nos existences.

Si Davidson est grand quand il parle de boxe, de père abominables, et de suburbs américains apocalyptiques, il n’est pas moins immense comme maçon surdoué qui entrelace ses récits les uns aux autres, dans Rust and Bones : tous paumées, tous sur le fil du rasoir entre la Vie Normale et le grand dawa intersidéral qui veut tous nous bouffer, ses personnages  se croisent, s’influencent, se sondent et se confondent. Du type qui récupère les biens impayés (Insomnies) à celui qui investit l’amour pour l’enfant qu’il n’aura jamais dans des chiens de combats (Un usage cruel), du père alcoolo qui saborde son fils ( Un bon tireur) à celui qui pense à des montagnes de chattes pendant qu’il parle à sa fille (Friction) , même ceux dont le destin est incertain à la fin de la nouvelle semblent être aspirés par un vortex de néant, vers le fond, toujours, inexorablement.

La frontière, la limite c’est l’intant pur dans lequel les héros de Davidson sont figés, saisis au moment où, sur le fil, ils tanguent comme des acrobates ethyliques, des marionnettes aux tendons sectionnés, pouvant cependant dans un moment de grâce ultime, transcender les contraires et d’un combat, faire une embrasse.

“ It ressembled less a fight than an aggressive coupling, yet there was an odd deference […] and their bodies melding, fists enveloped by the other’s chest or face, arms and legs and heads uniting,, flesh bounding until they became a united whole, this faceless, sexless creature that might haunt a lunatic’s dream”


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