SanVa Hospedaria, Macao ( 2011)
Nous
tournons dans un anneau de lumière vacillante, les pieds écartés, les poings
serrés, les genoux pliés. La foule recule, tout comme les bruits qu’elle fait.
Le seul son qui subsiste est une pulsation souterraine et distante, le
battement du cœur d’un géant. Une brume argenté et tremblante tombe à travers
les trous du toit et cette froideur me paraît agréable sur la peau. [….] et,
l’espace étincelant d’un instant, au centre de ce ring toujours plus sombre,
nous nous reoncontrons.
Y a pas longtemps, comme ça, entre deux bières
et deux autres, je discutais le bout de gras- ou plutôt avec un bout de gras,
entre les dents, à la belche quoi- que
je ne trouvais rien à lire en français. Bon, rien, c’est évidemment une
métonymie synecdoquique, puisque y a plein, non, quand je dis rien, c’est rien
qui soit sorti récemment. Qu’est-ce-à dire, d’aucuns ?
Je me suis rendue compte que tout ce qui sort
en littérature française est d’une nullité assez affligeante (sauf quelques
uns, qui sont la plupart publiés dans des maisons d’éditions tellement minus
que la femme de ménage relit les manuscrit et ergo qui ne sont peu ou prou ou pas
distribués). La nullité tient à ceci qu’on traverse période de grand déballage
mievro-sentimental-de-ta-life-qu’elle-intéresse-personne Genre ! T’as
qu’à faire un blog tant que t’y es ! Y’a des gens qui ont assez de culot pour
parler de néo-romantisme, j’t’en foutrais, tiens ! d’autres qui analysent d’un ton
docte le retour de la confession et des gens simples, comme moi qui savent
–depuis un bout de temps- que la littérature française n’a plus de couilles (
si tant est qu’elle en ait jamais eu). Sans rire cette fois. Je parle bien sur
pas des Musso/ Levy/ … qui produisent à la chaîne des sortes de romans de gare
vendus très chers, mais de gens qui se vendent (se positionnent) comme
littéraires ( Courage fuyons !). Je ne donnerai pas d’exemple, j’en ai
marre de cette intro qui n’avait qu’un seul but : vous dire que du bien d’un auteur que j’ai découvert y a un petit temps
déjà, et qui écrit des bouquins avec couilles qu’on dirait qu’il bouffe des
rognons de nains le matin au p’tit déj’ : Craig Davidson. Ha oui, c’est ça
le rapport avé l’intro : l’est pö français, eul’ptit.
Davidson a publié en 2005 un recueil de textes Rust and bones qui avait beaucoup
fait parler la presse hype lors de sa sortie en français : probablement
parce que Ellis s’était fendu d’un gentil com’ sur sa page facebook, mais
bon. Je me suis procurée ce livre et comme pas mal d’autres, je l’ai rangé
quelque part et oublié. Il y a environ 6 mois, je suis – ou plutôt il est, vu
l’équilibre précaire dans lequel survivent mes livrouchoux - retombée dessus et
bah, je l’ai lu.
Là, gros malaise. Le truc est puissant, physique, corporel, gerbatif, tripique, mais hallucinamment bien écrit, rapide, fluide doux
et délirant, absolu et irradiant. Bref, quand je suis descendue du train,
j’étais malade. J’ai fais ce qu’il fallait, puis je l’ai relu. Au moins trois
fois depuis, ça marche encore. Du coup j’ai acheté l’autre, le roman sorti en
2006 dans sa version angliche. Bam. Même baffe. Avec mon Thésaurus Oxford ( <3 hiiiiiiii <3 ) parce que c’est pas de la
racaille, là, le Davidson. J’ai pourtant lu pas mal de trucs immondes ( genre
Palhaniuk dans Haunted dans lequel un
mec perd une partie de son estomac, aspirée par la bonde de la piscine sur
laquelle il est assis pour se branler parce que c’est le seul truc qui le fasse
décoller- c’est assez beurk) et pourtant
Davidson réussit grave bien à me surprendre. Pourquoi ?
Le premier truc, c’est que c’est trash sans
être crade ( Palhaniuk qui nous fatigue un peu d’ailleurs), sans être écrit
sous influence ( impigeable Burrough), sans être une suite de récits du
méta-moi de l’auteur mégalo (bourrant Ellis), sans être écossais (écossais Irving)
. Un des thèmes favoris de Davidson, c’est la boxe- sujet principal de The Fighter, titre assez logique. La
boxe, on peut en parler de plein de façons différentes : raconter ce qu’il
y a autour, les salles bondées-suintantes-enfumées-suffocantes, les bookers,
les combats illégaux, Jean-Claude Van Damme : bref, c’est finalement aussi
casse-gueule que n’importe quoi d’autre.
Et là, c’est le deuxième truc qui fait que
c’est probablement le meilleur-auteur-du-monde-et-je-veux-l’épouser :
c’est pas juste de la boxe, avé des types qui se tapent eud’ssus. Non, dans la
boxe, ce qui lui plait, c’est pas le combat, c’est la métaphysique de la boxe :
ce type n’écrit pas sur le sport, sur le milieu, sur l’histoire, il écrit sur
l’essence de la boxe réduite à ceci : des os et de la chair. Parce que
l’espace du ring ramène toute existence humaine à son insignifiance asbolue. C’est
la rencontre des corps dans leur fragilité et leur médiocrité dès qu’ils
montent sur un ring. La capacité qu’ont des hommes à devenir des machines à frapper dans un
carré 4 sur 4.
Mais au-delà du cliché –
« Je-ne-suis-qu’un-homme-et-rien-que-ça-quand-je-monte-sur-un-ring-et-par-ceci-je-découvre-mon-vrai-Moi-que-je-vais-aller-partager-avec-mes-amis-übersexuels-autour-d’un-verre-de-kombucha »
- Davidson crée un véritable paradoxe, en mettant en place ce qui est pour moi
le paradigme qui le définit le mieux : le passage à la limite. Le combat, porté à un certain stade, c’est la
sortie de toute finitude humaine qui s’opère le temps d’une dizaine de rounds.
Il y a une limite, imperceptible au-delà de laquelle le fighter est plus que « Juste un homme » ( traduction
française du titre). L’au-delà de la douleur. La frontière fine entre ce qui
relève de l’humain et ce qui le dépasse.
“ The thing facing him was nothing but a bag of skin and bone and gristle and blood and Rob wanted to inflict as much damage upon it as was humanly posible- as was inhumanly possible- smash and bash and crush and wreck until nothing of value remained”
La dernière limite, celle de la peau qui
retient la chair, qui fait barrage au sang, la peau en lambeaux qu’on imbibe
d’acide ferrique, les tendons qui maintiennent des bout d’organes attaché au
corps, la chair en bouillie des mains dont les os ont implosé sous les coups. L’image
parangonique serait celle de la chair réduite en purée, contenue par la peau
comme ultime rempart à l’explosion.
« Here you might see an overmatched fighter struck a blow so vicious it cracked the orbital bone and push his eye from its socket, the blood-washed eyeball swinging on its optic nerve like a lacquered radish”
Si Davidson est grand quand il parle de boxe,
de père abominables, et de suburbs américains apocalyptiques, il n’est pas
moins immense comme maçon surdoué qui entrelace ses récits les uns aux autres,
dans Rust and Bones : tous
paumées, tous sur le fil du rasoir entre la Vie Normale et le grand dawa
intersidéral qui veut tous nous bouffer, ses personnages se croisent, s’influencent, se sondent et se
confondent. Du type qui récupère les biens impayés (Insomnies) à celui qui investit l’amour pour l’enfant qu’il n’aura
jamais dans des chiens de combats (Un
usage cruel), du père alcoolo qui saborde son fils ( Un bon tireur) à celui qui pense à des montagnes de chattes pendant
qu’il parle à sa fille (Friction) ,
même ceux dont le destin est incertain à la fin de la nouvelle semblent être
aspirés par un vortex de néant, vers le fond, toujours, inexorablement.
La frontière, la limite c’est l’intant pur dans
lequel les héros de Davidson sont figés, saisis au moment où, sur le fil, ils
tanguent comme des acrobates ethyliques, des marionnettes aux tendons
sectionnés, pouvant cependant dans un moment de grâce ultime, transcender les
contraires et d’un combat, faire une embrasse.
“ It ressembled less a fight than an aggressive
coupling, yet there was an odd deference […] and their bodies melding, fists
enveloped by the other’s chest or face, arms and legs and heads uniting,, flesh
bounding until they became a united whole, this faceless, sexless creature that
might haunt a lunatic’s dream”
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