lundi 17 février 2014

Ecran total

Je ne savais pas en regardant Cesar deve morire que c'était un film "vrai", dans le sens où les acteurs sont non-pro et qu'il s'agit surtout d'une expérience dans une prison qui a été shootée et montée en film. Le tout donne un peu dans une veine documentaire, puisqu'il n'y a pas vraiment de ligne narrative (au début y savent pas la pièce, à la fin ils la jouent en gros), mais l'impact du film vient surtout de l'image et de multiples micro-questions qui sont posées en forme de remarques dans la marge (les réflexions des gardiens, les monologues intérieurs des prisonniers, les silences). 

L'espace carcéral est utilisé de façon hallucinante, photographié dans un noir et blanc très doux, qui bizarrement enlève le côté angoissant de l'enfermement - en dehors de la privation de liberté, l'idée d'être partout sous l'oeil des autres, d'être constamment en surnombre, empaquetés comme des sardines.

Le jeu entre le texte de Jules César et la situation des acteurs est facile (trahison, meurtre, prise de pouvoir) mais on évite la lecture métaphorique super lourde, et il reste surtout des courts instants d'hésitations entre les moments de jeu et les moments de vrai, hésitation qui est ce qui rend le théâtre réellement passionnant.

Je sais enfin, grâce à la traduction serbe, d'où vient le mot Barbouzes, c'est en fait ceux qu'ont une barbe ("un barbu, ça va, des barbouzes, bonjour les dégâts"). Le cirque autour de cette pauvre Mireille est plutôt drôle, entre coups bas d'espions à l'ancienne et invasion de chinois cachés dans les murs. C'était le premier film écrit par Audiard que je regarde et je m'attendais à quelque chose de plus rapide dans le ping-pong verbal, mais je suis encore toute chamboulée par mes frères Marx, alors tout ce qui n'est pas débité à une vitesse de névrosé en phase maniaque me semble mou. J'ai adoré l'américain, qui finit sur le bord d'une route et j'ai bien évidemment reconnu et salué la boutade du barbu (lequel? à ce stade-là, j'étais moi aussi plutôt confuse) qui pousse l'autre (lequel? etc.) par la porte ouverte du train: E pericoloso sporgersi. C'est en train de devenir a thing, je crois.

Le pacha m'a fait découvrir cette merveille qu'est le Requiem pour un con, étant un peu nulle en Gainsbourg. Sa courte apparition m'a d'ailleurs déconcertée, puisque je n'ai jamais de lui qu'une image de vieux tout mité: en fait, il fut jeune et plutôt chou. Le contraste avec la montagne placide qu'est Gabin lorsqu'il sort du studio est d'ailleurs visuellement très réussie. Gabin donc. Il fait partie d'un nombre de vieux qui, en vieillissant, voient leur bouche se rentrer en elle-même - elle se retrousse, se recroqueville, se rebique en elle-même plus qu'hier et moins que demain, avec pour effet principal une diction inimitable, qu'on dirait crachée du coin des lèvres (mais en sont-ce encore??) Bref, après les sourcils, je suis maintenant obsédée par les appendices buccaux des vieux acteurs (Sigmund, nous voici). L'utilisation de la rythmique du Requiem donne au film un chouette rythme un peu traînant, entêtant, plutôt moderne en fait. Point de vue dialogue, ça dépareille pas: avec plus de faconde que les Barbouzes ( mais je crois que c'est rapport à la particularité physique plus haut décrite). Il y a beaucoup de petits plans courts avec des détails insignifiants ou des clins d’œil, dont celui qui m'a marquée: celui de la main d'un type qui se fait dessouder couverte de ripolin jaune qu'il a attrapé dans sa chute. Pourquoi du Ripolin? Pourquoi jaune?  A la fin, ils ripolinent bien une voiture de la Poste, mais alors? La dernière rencontre dans l'usine abandonnée, est superbe, décor de fou et fin de vrai pourri mélancolique d'un monde de cow-boy/voleurs qui sent le sapin.

Cesar deve morire, Taviani, 2012
Les barbouzes, Lautner, 1964
Le pacha, Lautner, 1968


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