samedi 21 mars 2015

Ecran total

Dernière partie d'une trilogie sur l'existence humaine, A pigeon sat on a branch reflecting on existence clôt cet ensemble avec brio et Xanax pilé. Le style d'Andersson peut ne pas plaire: des longs plans immobiles, des dialogues chouinés plutôt que véritablement dits, des personnages qui ont deux de tension et une inertie qui irriterait les fans de Chuck Norris par exemple. Mais la forme est en telle cohérence avec le fond qu'on ne peut pas détester l'intrigue et kiffer la photographie - et inversement: les deux sont portés à un point de déprime telle que c'en est drôle. Ici, il y a même un fil conducteur, puisqu'on suit deux représentants en farces et attrapes aux prises avec des mauvais payeurs, une économie pas folichonne et le surveillant de leur centre de réhabilitation (ou un truc du style). Comme toujours, c'est impeccable: grinçant, flegmatique, parfois limite malveillant ( la longue scène du singe avec des électrodes sur la tête) et toujours au son d'une valse vaguement cirquesque, dans des décors vides et dépouillés, éclairés blafardement, abritant des existences inappropriées. Rendre grâce à la dépression anémique et à ses neurasthéniques en goguette, voilà qui fait du bien en ce moment.

Ceux qui se sont trompés d'heure ont peut-être été voir par erreur Invasion USA: ce n'était pas la même chose, même si la longueur totale des dialogues était à peu de choses près la même. Car comme on nous l'a fait remarquer, ce film ne comporte pour ainsi dire AUCUNE explication sur le pourquoi du comment. Des communistes surentraînés envahissent les USA et personne ne prend le temps de comprendre ou d'expliquer au pauvre public ce qui se passe. Les Rouges débarquent par la plage ( ils ont visiblement tiré de bonnes leçons de la Baie des Cochons), ils veulent gâcher le Nowel de tout le monde, mais surtout, ils veulent liquider Chuck Norris qui bien que retiré dans un swamp avec pour toute compagnie un tatou trop chou, présente toujours une menace pour le Russe qui sommeille en nous. Chuck, qui a co-écrit le scénario, est probablement en fait un béhavioriste convaincu: le cerveau est une boîte noire, et hors de l'input/output, il est très difficile de savoir ce qui s'y passe - d'où son expression immuable et l'économie qu'il fait en se limitant à balancer des faits sans jamais se poser de questions. D'ailleurs, une lecture entre les lignes ne peut que nous faire constater que Chuck connait son beef: les coco sont de toutes races, preuve qu'il a lu Trotski et compris que ça pouvait pas marcher avec uniquement des Ruskofs ( trop loin en bateau), seulement des Cubains ( trop portés sur la trompette) ou rien que des Chinois (trop furtifs). Chuck, une machine à tuer sans cerveau? Que nenni! Un disciple de Skinner ( le biologiste, pas le principal) qui a lu Marx, oui!

Turneja, encore un film sur la guerre? Hélas, oui. Pris ici à travers l'angle, pas loin du poncif du genre, de la petite troupe d'artistes en tournée dans un pays en guerre et qui se fait déflorer sa virginité artistique par des obus qui tombent, des soldats qui meurent et des truc pas bien sympas: bon, voilà.  Comme d'habitude, les artistes sont des petits privilégiés qui ne connaissent rien à tout ça, mais qui sont pleins de bons sentiments lesquels vont être ébranlés par une réalité trop dure, celle de la guerre, qu'ils vont éclairer de leur grandeur d'âme ("Mais enfin, nous sommes frères!") avec des réflexions bien débiles (" Ça  sera dur de faire un film sur la guerre de Bosnie, car en général, dans les guerres, les ennemis se différencient bien, ils ont des comportements bien différents, alors qu'ici, bah c’est le même peuple, quelle misère quand même"). Un des seuls trucs intéressants est la critique de l'art officiel qui soutient le régime. Markovic a la délicatesse de n'épargner personne - et encore: le film se conclut sur cette vérité que la Bosnie est vraiment un endroit de merde où tout le monde se tire dessus: finalement, les appartenances n'ont pas d'importance, le problème, c'est ce territoire peuplé de paysans qui naissent un couteau entre les dents. La tolérance vous dit merci.

En duva satt på en gren och funderade på tillvaron, Andersson, 2014
Invasion U.S.A., Zito, 1985
Turneja, Markovic, 2007

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