jeudi 12 mars 2015

Mycose the night

Il y a chez Thomas Gunzig un personnage qui m'a toujours plu: il s'agit d'un des nombreux losers qui se démènent dans ses textes, plutôt sale type, pas bien brillant et qui se retrouve avec une bande de ratés comme lui à forer un trou géant dans une région bien mesquine, avec une utilité pas loin de zéro. Comme souvent chez Gunzig, ce gentil minable a mis au point une explication cosmogonique plutôt tordue expliquant le pourquoi du comment - ici, elle est dominée par la figure du champignon. 
 Néanmoins, si beaucoup sont nés ratés, et le sont restés, moi je suis né en bon état et je suis devenu un raté, le mauvais sort s'étant acharné sur moi quelques années après ma naissance, ne me quittant jamais, me donnant le profil d'un champignon. [...] Toute ma vie s’imprégna d'une odeur de mycose. J'avais des petites racines que je plantais à gauche à droite, sans beaucoup d'énergie, dans le simple espoir de pomper de quoi vivoter, et un gros chapeau qui me dissimulait plus ou moins correctement et me protégeait des intempéries. Je vivais sous la couche de matière vivante, et dans la matière morte, il m'arrivait de croiser d'autres parasites avec qui je faisais alors connaissance.
C'est avec ces phrases en tête que je suis allée voir un duo de films mycotiques plutôt drôle.

Matango nous vient du cher, très cher Honda qui s'attaque ici à un nouveau type de contamination, le moisi. Tout commence pourtant bien: ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont célèbres et chantent des chansons au ukulele (sans les mains) sur un bateau qui vogue fièrement vers son destin. Hélas! Un coup de vent et les voilà démâtés, échoués sur une île inquiétante: rien à grailler, des traces chelous dans le sable et un vieux voilier abandonné couvert d'une bonne vieille couche de moisi. Une logique implacable leur commande alors d'élire domicile dans ce nid à microbes et de récupérer de la vieille bouffe qui ferait peur à un ver intestinal. Quelle riche idée! Tous ces champignons ne peuvent qu'être pleins d'oligo-éléments! N'en disons pas plus: à partir de là, attendez-vous à des transformations magistrales, des courses poursuites haletantes et des orgies de champignons "qui rient", à prendre au sens très littéral, car ces organismes ricanent effectivement - de façon diabolique, cela va sans dire.

De son côté, The Creeping Garden promettait d'être bien gluant: reportage en time lapse sur le slime mould, organisme entre animal et champignon plutôt dégueu dont se proposait ici de révéler les moindres secrets. Miam! Comment un type se réveille un matin et décide de faire un film sur le moisi, ça reste un mystère pour moi. Mais le résultat final est plutôt hallucinant. Après une longue présentation de ces êtres jaunâtres et mous, filmés de près, très près, on découvre avec joie que l'enthousiasme est partagé. Il existe en effet un nombre assez incroyable de gens qui font des trucs avec ces moisissures: des algorithmes calqués sur la croissance des filaments, des expériences avec des labyrinthes, et même de la sonorisation champignonesque. A ce stade, il ne reste qu'à s'émerveiller qu'il existe encore des endroits sur terre où on paye des scientifiques pour relier un bout de pourriture à un piano via une électrode, juste pour voir ce que ça fait. Tout n'est pas perdu.

Matango, Honda, 1963
The Creeping Garden, Grabham & Sharp, 2014

Il y a avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu, Gunzig, 1997

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