samedi 23 mai 2015

Bravo.

Avec l'enthousiasme des désespérés, je continuerai à écrire tant qu'il  me restera des mots. J'en ai des silos remplis jusqu'à la gueule et je ne me rendrai pas avant de les avoir dégoupillés jusqu'au dernier.

Alors oui, Bravo, enfin un putain de livre qui donne envie. Ça fait un moment que je n'avais rien lu de Jauffret, unes des rares lueurs d'espoir dans le désolant paysage littéraire français actuel, et puis je suis tombée sur Bravo et j'ai pris un pied que j'avais presque oublié qu'il était possible (de prendre) enfin bon, c'est bien quoi.

Jauffret revient à un format de nouvelles, même si Bravo est un roman,(?), un ensemble de fictions organisées en série autour d'un thème. D'une certaine façon, tous ses textes sont des mises en séries, y compris les romans qui fonctionnent par enchaînement de mini-récits s'engendrant les uns les autres - Univers, Univers, Clémence Picot et plus récemment Claustria - mais là on retourne au format Microfictions - des titres, des personnages, des récits uniques sans liens apparents entre eux.

Du point de vue stylistique, c'est toujours excellent: fluides et longues élucubrations des narrateurs tantôt omniscients, tantôt à la première personne, dialogues sans réponses constitués de paroles extérieures qui tombent comme des couperets sous forme de sentences plutôt que de communication réelle, creusement dans l'expression de la rage, de la haine, montée dans la violence des mots et de leur sonorité exécrable; des mots comme des grenades à balancer jusqu'au dernier.

L'explosion du langage est d'ailleurs probablement mon texte préféré: outre le fait qu'on y découvre un grammairien retraité, inventeur du mode dubitatif qui est un concept plutôt génial, s'y déroule une révolte de mots, commençant par se carapater de livres en livres, formant peu à peu des groupes de résistance, finissant par s'incarner dans des réalités diverses - des mots "dont le sens leur est monté à la tête". Tout ceci finit évidemment très mal, et reprend le fil rouge qui unit tous ces textes, celui de la fin du sujet, de l'homme et de l'empressement linguistique qui s'empare du corps mourant à l'approche de sa disparition: besoin de dire, de parler, de balancer ce qui reste de vocables, de langage.

Parce que c'est surtout ça: des histoires de vieux, des croulants, déroulant des existences sordides, minables de leur propre aveu, des vies ratées bouffées par une haine tenace, des vieillards dégueulasses tournés en bourrique par des descendants encore plus médiocres, entre veuleries et coups bas, il n'y a rien de vraiment doux et mignon, pas de beaux sentiments à l'automne de la vie, pas de leçons sur le passé et de cette douce condescendance dont les récits de vieux gratifient parfois leurs rejetons, tout en humilité et sagesse à la barbe blanche. 

Non, c'est franchement immonde, parfaitement pourri jusqu'à la grammaire, infect dans les moindres virgules. Pas d'espoir, de beauté dans la vieillesse, pas de pitié, de clémence dans la maturité; rien que cette urgence de parler, de jeter à la gueule du monde une dernière salve de verbes acides qui piquent les yeux et défigurent à jamais le passé et l'idée qu'on s'en fait.

Bravo, Régis Jauffret, 2015

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