dimanche 7 juin 2015

Ecran total

On en a tellement parlé qu'on ne sait plus trop si on a envie de le voir: It Follows est pourtant un excellent film, même si avec des références un peu chianto-indy. Mi-Lynchéen ( lumières crues, ambiances vides, sursaturations de bruits) mi-Sofia Coppolien (ados à l'air pâlot qui déambulent nonchalamment, s'envoient en l'air distraitement et n'ont genre pas de parents): on pourrait s'attendre au pire, mais finalement l'idée de départ fonctionne vraiment bien. Il s'agit d'une malédiction qui se refile en couchant avec quelqu'un. Que se passe-t-il une fois maudit? Un truc te suit, genre partout, mais jamais la même chose. C'est juste une personne chelou qui marche dans la foule avec une tête psycho et que toi seul peux voir. On apprend cependant que cette chose se tue - mais en fait pas vraiment, bon bref. La pauvre Jay, après avoir péché sur la banquette arrière du break Volvo de son nouveau BF est  bien punie: elle aurait mieux fait de garder sa culotte! Alors, diatribe puritaine sur le sexe avant le mariage ou simple délire freudo-lacanien? Très bonne question à laquelle on ne répondra pas - même si je pense personnellement qu'IT est, tel das ding d'Alien, une sorte de libido sous forme d'organe extérieur, mouhaha - puisque l'essentiel, pour une fois, n'est pas dans Lacan, mais dans le plan. L'idée "it follows" est exploitée à fond par un ensemble de plans super larges, dans lesquels on ne sait parfois même plus très bien ce qu'on regarde, jusqu'à ce qu'une silhouette se détache pour devenir un point central menaçant qui bouffe le reste de l'image (un peu comme dans l'anamorphose chez Holbein, tiens). Ce principe existe d'ailleurs dès le début du film - le plan dans la piscine sur des gamins qui espionnent par dessus la haie par exemple - et arrive à se passer de gros zoom gluants qui généralement se substituent au regard du spectateur le forçant à regarder un truc. Ici, quelque chose, it, se ballade, hétéroclite, et pas forcément moyen de savoir d'où ni comment il surgit, ce qui rend son apparition d'autant plus angoissante. Je reste un peu dubitative sur la stratégie de la piscine et du sèche-cheveux, mais bon.

Mangiati vivi! est un autre Eaten Alive! avec des gens à la place du croco gourmand d'Hooper, pour faire un beau cannibalxploitation avec des dégustations en direct, des viols à l'amiable et des découpages de seins qu'on espère garantis sans prothèses PIP. Mais! Le film arrive à mélanger le cannibalisme et le film de secte, surfant sur la vague Jonestown Massacre allègrement. Nos vaillants explorateurs sont donc pris entre deux maux: se faire endoctriner et violemment godemicher par un gourou pervers ou se faire boulotter par des indigènes vaquant alentour? Misère! Quelle idée à la con d'avoir quitté son NYC natal pour aller chercher une sœur bohème dont on n'avait plus de nouvelles depuis quelques mois ( et qui de toute façon avait dilapidé tout l'héritage en adhésion à ladite secte) mais dont on pouvait se dire qu'elle ne valait de toute façon plus grand chose - vu les égards avec lesquels elle crève, ça valait bien la peine! Mais, l'amour, l'aventure et les pic-nics en plein air sont au rendez-vous, alors pourquoi se priver, finalement?

Autre truc-trop-attendu-qu'il-faut-voir Nightcrawler m'a mis une énorme claque. Reprenant le débat "info VS voyeurisme", le film relate le parcours d'un stringer passé pro dans l'image choc et sanglante via des stratagèmes pas toujours jolis-jolis. Le débat ne s'éternise pourtant pas là-dessus parce que le centre de l'intrigue se déplace subrepticement sur le personnage de Lou Bloom, rendu par un impressionnant Jack Gyllenhaal qui envoie des baffes. Maigre, les yeux creusés, les cheveux gominés, l'aspect control freak super maîtrisé, que ce soit dans les gestes ou dans le langage, une suite de citations apprises par cœur qu'on dirait récitée par un processeur, on se demande d'abord si le pauvre n'a pas une sorte d'Asperger latent. La clé arrive plus tard: en fait, c'est juste un enculé complet qui hait ses semblables. A partir d'un certain moment, on est physiquement mal à l'aise devant ce type qui est absolument dépourvu de quoi que ce soit d'humain, on continue à regarder comme on lit un Zola, avec l'espoir débile que les méchants seront punis et les bons vont gagner, mais en sachant que c'est faux. Le malaise est tellement réel qu'on en vient à se demander putain POURQUOI on est toujours devant ce film? Pas besoin de réexpliquer le rapport avec le sujet de départ, c'est plutôt clair et amené vraiment intelligemment. 

It follows, Mitchell, 2014
Mangiati vivi, Lenzi, 1980
Nightcrawler, Gilroy, 2014

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