mercredi 4 avril 2012

Anteroom

Bratislava, 2009

On habite toujours dans un espace, clos, on ne court jamais bien loin, les voitures suivent des routes, les trains des rails, les avions, les fusées ne rejoindront jamais l'infini. 
On se cogne toujours quelque part.

Régis Jauffret, Claustria.

Parler d'un fait divers sordide sur 500 pages, c'est une idée qu'elle est bizarre - même si la littérature de gare regorge de livres de circonstance écrits par d'obscurs auteurs à tout jamais anonymes - mais pour des raisons que je détaillerai plus bas, j'ai attendu avec une impatience digne -ou pas- le nouvel opus de Jauffret. Comme le bouquin a mis pas mal de temps à m'arriver  et que j'étais toujours plongée dans The Corrections de Frantzen, j'ai seulement fini de le lire récemment.

Alors, Jauffret c'est vraiment un des rares auteurs français contemporains qui me fasse kiffer et qui me fait un peu peur en même temps - ceci expliquant sans doute cela.  Microfictions était juste génial, et le reste est du même niveau: c'est extrêmement bien écrit, sans pathos et sans poésie excessive, fluide et précis, avec des morceaux de pure haine entre les dents.

Jauffret est une sorte de démiurge nitzschéen ordinaire de la minabilité. Il y a cette obsession de puissance qui transpire à toutes les pages, et dont Claustria est un peu l'aboutissement ultime - le rêve tordu d'un homme qui veut fonder une famille qui se renouvellerait éternellement et qui transcende par-là les règles de base de saut des générations.  Dans Microfictions on retrouve déjà ces millions de petits personnages aux vies insignifiantes qui fomentent des attentats dans le secret de leur chambre de bonne, maris frustrés qui s'adressent dans le vide à leur femme infidèle, parents aigris qui sabotent leurs enfants, vieillards amers qui assassinent leurs voisins. Clémence Picot est du même tonneau, ainsi que Univers, Univers.

Ce qui marche éminemment bien, c'est que cet thème qui revient et qui est ressassé l'est dans une démultiplication infinie des récits, des points de vue, des voix parlantes, des narrateurs - en fait, plus une fonction qu'une véritable incarnation. Claustria ne raconte pas le fait divers, mais toutes les histoires, petites ou inessentielles qui s'y sont accolées - le locataire du dessus, l'auteur qui enquête, les habitants de la cave, les enfants des années après. On dépasse largement la dimension sordide - même s'il faut reconnaître que c'est pas franchement rigolard - et on atteint une sérialisation, un mécanisme fou qui s'autoengendre - si j'étais mesquine, je caractériserais ça de deleuzien.  Le procédé est le même dans d'autres livres de Jauffret et c'est là que ça se situe: il arrive à une sorte de logorrhée sans terme, sans but, qui semble se nourrir d'elle-même, qui circule à la surface du sens des histoires qu'elle raconte sans jamais prétendre en dire quoi que ce soit. En fait, on peut lire certains de ces bouquins à la façon d'un livre qu'on reprend à chaque fois à un autre endroit, sans jamais vraiment se préoccuper de la chronologie - c'est un livre/tous les livres, à la façon d'une force proliférant sans qu'on puisse en déterminer le sens - la direction. Y a donc du fond qui crée la forme et vice-versa. Pour ceux qui ont bien suivi.

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