lundi 8 octobre 2012

Ecran total

Amusons-nous un brin avec les traductions du titre: Tous les autres s'appellent Ali est une traduction du titre de travail de Angst essen Seele auf - qui signifie approximativement " l'angoisse mange l'âme" - à savoir Alle Türken heißen Ali ou encore " tous les Turcs s'appellent Ali". Les Anglais ont choisi un mix des deux, Ali: Fear eats the soul, qui peut tout autant se comprendre comme une citation du scénario (puisque c'est Ali qui dit " Angst essen Seele auf" dans le film) - truc que l'on retrouve à la fin de Mama Kuster. Cela dit, pourquoi est-il question de Turcs alors qu'Ali vient du Maroc? On s'en fout un peu. Toujours est-il que le titre laisse présager un film bien noir, ainsi que la première image "Das gluck ist nicht immer lustig",  le bonheur n'est pas toujours gai: on se recroqueville dans son fauteuil et on sort sa lame de rasoir; ça va chier. En fait, c'est un film plutôt guilleret: Ali est un sympathique gastarbeiter qui séduit sans façons une petite veuve racornie et l'épouse dans la foulée, faisant fi du qu'en-dira-t-on. C'est trop meugnon, mais les gens sont méchants et après s'être fait jeter par ses gosses - qui sont bien ingrats - , par ses collègues - bien mesquines - et même par son épicier - à la mèche grasse -, Emmi doit se rendre à l'évidence: elle ne peut vivre sans les autres; tandis qu'Ali commence à regretter le couscous de la barman au menton fuyant de son rade favori. Ach. Le tout est tourné comme une série de tableaux, de photographies dont les personnages se mettent en mouvement au clap de début; une caméra qui bouge pas des masses, une obsession du principe de cadre ( et des chambranles de portes), des compositions de couleurs et des  motifs, et Ali, le Syrien mutique du début de Martha, qui occupe tout l'espace avec son grand corps malade (mouahaha) et ses phrases lapidaires.

Mama Kuster monte au ciel est confusionnant, puisqu'on y voit l'Emmi d'Ali, le couple Helmut-Martha, la fille d'Emmi devenue sa belle-fille ( si tout va bien et que la morale est sauve): on a un peu la même impression qu'en regardant une série HBO - " 'Han, le shérif de True Blood c'est le syndicaliste de The Wire" - et oui, c'est la magie du cinéma. La pauvre Mère Kuster, après avoir perdu son homme dans un tragique suicide/meurtre, se retrouve poursuivie par un couple de communistes vachement suspects - on dirait un peu des témoins de Jehovah. Perdue, acculée, aux prises avec un journaliste à sourcils hénaurmes qui menacent de l'étouffer et toujours coincée entre deux chambranles de porte, elle finit par se laisser embrigader dans un sombre kommando qui tourne mal. 

Si on en doutait encore, Husbands apporte la preuve que Cassavetes est un grand, grand malade: la pseudo-scène de non-baise dans l'hôtel à Londres se suffit à elle-même - et le reste du film est à l'avenant. Ouch.

La règle du jeu est probablement une mise en abyme de la fonction du réalisateur: Renoir y joue le rôle d'Octave sorte de mondain outsider sous l'oeil-caméra duquel une bande d'aristos d'un côté et une bande de serviteurs de l'autre se mettent en mode swinger sans plus d'embarras que ça: ça se tripote dans les recoins sombres du château, ça manigance dans les alcôves et ça jacte en cuisine; le tout dans un virevoltement slapstickesque qui rend fou.  Octave est donc plus ou moins le seul à tirer son épingle du jeu - et encore - et, tel un coryphée moderne, est celui à qui est attribué la punch-line qui tue "Mais je ne peux jamais m'arrêter de bouger". A voir, rien que pour la scène hallucinante de danse du squelette.  




Angst essen Seele auf, Fassbinder, 1974
Mutter Küsters' Fahrt zum Himmel, Fassbinder, 1975
La règle du jeu, Renoir, 1939
Husbands, Cassavetes, 1970






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