vendredi 16 octobre 2015

Fear (and) the working dead.

J'ai parfois du mal à croire qu'il fut un temps où je pensais au travail en termes d'envie - qu'est-ce que je veux faire dans la vie? Un an plus tard, je me rends compte que mon discours a changé de "j'aimerais faire ça" à " ce que j'aimerais vraiment, si c'était possible, ce serait" à " bon, le rêve ce serait de " pour finir par ne même plus en parler, comme un petit secret sale - ce que j'aimerais vraiment faire dans la vie.

Ça sonne presque comme un gros mot, comme une exigence de sale gosse pourrie gâtée, de vouloir faire ce qu'on veut (dans mon cas, de la tautologie appliquée) surtout dans le climat actuel qui cherche à construire un rapport au travail assez abominable,  auquel je me demande si on a vraiment réfléchi du point de vue des conséquences profondes. 

Reprenons. A la base, on exerce une profession parce qu'on l'a choisie, en tout cas plus ou moins. Dans cet état de fait, un certain nombre de gens se sont retrouvés au chômage, et au lieu d'en conclure de façon logique, que le problème était dans le travail plutôt que dans le chômeur, le marché (who dat?) a conclu que c'était parce que le chômage était trop confortable (et pas du tout parce que le travail était trop débilitant). On a donc rendu le chômage le plus inconfortable possible, histoire que ceux qui ne travaillent pas par envie le fassent au moins par nécessité. Faut bien bosser.

Je suis convaincue qu'il faut que tout le monde travaille, mais il faudrait s'entendre sur ce que travailler veut dire. A mon sens, ça signifie exercer une activité qui permet à l'homme de s'épanouir, de contribuer à la société et de construire quelque chose. Servir des bières est un travail, tripoter des ordinateurs est un travail, écrire des films de zombies est un travail, se poser la question de savoir si Lacan et Foucault aurait fait un beau couple est un travail (on aurait dit Lacault, ou Foucan, trop <3). Résumer le travail au fric qu'il génère est un truc plutôt crétin et c'est d'ailleurs probablement pour ça qu'une partie des gens a fini par ne plus avoir envie de travailler. En termes de salaire, être instituteur est un travail de merde comparé à être DRH chez Air France. En termes d'utilité sociale, on a du mal à justifier qu'un type qui vire des gens avec le sourire est plus utile que quelqu'un qui fait en sorte qu'une chiée de gamins ne soient pas juste analphabêtes (sic) toute leur vie.

Mais bon, de toute façon, travailler par nécessité n'est plus vraiment sur la table. On est en train de créer un monde dans lequel on travaille parce qu'on a peur de ne pas avoir de travail. Normal. Après avoir fait du chômage un truc suffisamment insupportable pour ne pas pouvoir y survivre sur le long terme, on est en train de le transformer en expérience existentielle qui, quelque part, finit par briser quelqu'un et en faire une chose réduite en miettes, prête à tout  (ou presque) et surtout, qui une fois réinsérée joyeusement dans la société, aura une telle trouille d'avoir à le revivre, qu'elle se tiendra à carreau.

Je ne sais pas quel connard pense encore que des travailleurs qui bossent la peur au ventre sont une chose profitable pour une entreprise. Ça fait quand même un moment qu'on sait qu'un bon travailleur est un travailleur heureux, alors un travailleur peureux? En même temps, les sociétés basées sur la peur fonctionnent plutôt bien, si on en croit le résultat des dernières élections biélorusses.

Et l'utilité sociale dans tout ça? La voilà: on se retrouve avec une bonne petite société de gens pétrifiés par la peur - de tout, de la crise au réchauffement climatique, en passant par la grippe hivernale et la peau sur le lait chaud -, une société dans laquelle un politicien pas loin du fascisme est invité comme orateur à la séance inaugurale de l'institut de sciences politiques d'une des rares universités du pays à avoir encore un peu de crédibilité et peut se permettre de tenir un discours inqualifiable sans que personne,ou presque, ne moufte. Quand on voit ça, on a presque envie d'aimer l'ULB (qui avait de son côté pensé à Laurent Louis pour son ouverture académique, mais il avait perdu son ticket de bus).

De mon côté, il semblerait qu'à l'instar des Cold War Kids, il y ait quelque chose "que je fais mal" (dixit la gentille madame d'Actiris), raison pour laquelle "je suis encore là" (chez Actiris donc.) Le pire, c'est que j'ai fini par y croire. Alors je vais aller voir un gentil conseiller qui va soigner mon CV (j'espère qu'il réglera aussi mon Œdipe du même coup, il y a peut-être moyen de prendre un forfait) pour que je puisse moi aussi me lever tous les matins, aller bosser, avoir peur, me coucher et recommencer. Trop hâte <3 <3 <3

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