lundi 16 novembre 2015

Mazafaka (Jim, fais-moi mal)

Je me suis récemment replongée dans les bouquins de Jim Thompson, écrivain hard-boiled monstrueux qui a entre autres chié The killer inside me et The getaway, tous deux relativement bien adaptés, faut l'avouer (même si le premier repose surtout sur la petite moue d'Affleck, mais bon).  L'incroyable individu qui tient Polar and Co m'a intriguée récemment en me parlant d'une adaptation de Pop. 1280 par Tavernier appelée Coup de Torchon. Tavernier, du Thompson, m'écriai-je! Ça alors! Je me suis donc remise au travail et ai réuni quelques films adaptés de Thompson, histoire de voir si ça tient toujours aussi bien.

After dark my sweet est plutôt moyen: histoire d'un type à la masse séduit par une nana pas jouasse flanquée d'un oncle dégueulasse, et qui se retrouve embrigadé dans un kidnapping à deux vitesses qui tourne évidemment mal. Y'a une histoire de complot entre l'oncle et la meuf, un truc pas trop clair qu'on sait pas trop qui entube qui - surtout que le héros, qui joue au taré tout du long est en fait vachement malin. Héros typiquement thompsonien, le type ultra finaud qui joue au plus con (dans Pop. 1280,, The transgressors, et probablement dans plein d'autres bouquins) est ici joué par Jason Patric, pas mauvais mais un peu meh, comme on dirait. The Femme Fatale (Rachel Ward) , qui a un accent british à couper au couteau pour une raison obscure est elle aussi pas folichonne. L'oncle pervers est plus convaincant, avec ses grandes dents gluantes. Le film est pas mauvais, mais manque en fait d'une espèce de nervosité, de tension - tout est dans un truc un peu éthéré, aérien, ciel bleu et palmiers crevés. C'est mou quoi.

Série Noire est une adaptation de A hell of a woman ( Des cliques et des cloaques en VF), que je n'ai pas lu, mais qui a l'air bien sympathique. On y retrouve Patricke Dewaere, en Poupart, vendeur itinérant de banlieue parisienne minable, un pavillon à moitié moisi, une bagnole qui crachouille, un imper mal ceinturé; enfin, le bout du scotch. Survient Mona, petiote maqureautée par sa tantine en échange d'une robe de chambre molletonnée (c'est du joli) et qui ne lâche pour ainsi dire aucun mot du film, se contentant d'être là immobile et de faire la moue en attendant qu'un crétin la sauve. Ce crétin, c'est Poupart (Poupée pour les intimes) qui va se faire un plan dostoievskien (dézinguer la vieille pour lui piquer son blé et emporter la fille), plan qui va évidemment merder - Poupou est un peu concon, pas toujours très logique et en fait largement schizo sur les bords. Le film est assez génial et à plein de niveaux. Dewaere est incroyable, complètement en roue libre, entre fureur et paranoia, tendresse et barbarie absurde, il y a aussi Blier en boss mi-mafieux mi-molette qu'est pas chié. Les dialogues sont signés de Perec, du coup, c'est difficile de rater son coup. J'ai surtout retenu les insultes -"Pauv' type du dimanche!" "Trou du cul sans fesses!"- mais il y avait plein de trucs chouettes. Visuellement, c'est aussi bien foutu, musicalement impeccable. C'est marrant de voir comment la transposition du milieu redneck américain fonctionne vachement bien dans un truc style banlieue de Lille-Roubaix. Finalement, leur Sud, c'est notre Nord à nous. Mignon!

Coup de Torchon est également une transposition qui aurait pu être casse-gueule, puisqu'on passe d'une petite ville du Sud aux colonies françaises ( Sénégal il me semble). Pop.1280 ( Pop. 1275 en VF, parce que les traducteurs sont aussi super nuls en math) est un bouquin bien dégueulasse, avec un héros qui joue au con tout en tuant, niquant, trompant à tout va - et qui s'en tire toujours. Ici joué par Philippe Noiret (Lucien), parfait en béni de la crèche qui fout sa merde un peu partout. On voit aussi Eddy Mitchell en frère/amant de la femme de Noiret et Huppert, la maîtresse hystéro. L'atmosphère oscille entre nonchalance et trouille, un genre de mollesse qui sent un peu la mort dans le fond, ce qui colle bien avec le caractère de Lucien, gros nounours sociopathe. La musique de Sarde est d'ailleurs impeccable, sorte de jazz orchestral un peu gluant sur les bords - voilà, en fait, ça suinte ce film, et de partout. On fait d'ailleurs le lien avec Voyage au bout de la nuit et c'est pas tout à fait idiot, en tout cas pour l'aspect malsain et un peu moite, déliquescent des colonies.

Il y a d'autres adaptations, mais j'ai préféré voir Thompson en vrai, sa trogne ratatinée un peu chelou, qu'on aperçoit dans Farewell, my lovely, néo-noir adapté d'un type comme lui, Raymond Chandler, qui a créé le privé Philip Marlowe (qu'on retrouve dans The Big Sleep, film auquel je n'ai toujours rien pipé) et pas mal adapté dans les 40's puis dans les 70's. Dans celui-ci, Marlowe (le vieux Mitchum) doit retrouver une Velma qui fait un peu sa pute. Il croise toutes sortes de gens bizarres, dont un vieux juge (Thompson, donc) dont il tripote un peu en passant la jeune épouse (Rampling, pas mal du tout). Marlow a l'air d'être too old for that crap, et s'en prend plein la gueule - dont une mémorable branlée mise par une grosse infirmière néo-nazie flippante. Il en a marre, et d'ailleurs, rien ne se résout au final (comme ça, c'est dit). J'ai enfin pigé ce qu'était le néo-noir: c'est du noir, mais en couleurs et en plus déprimé. Un des tropes du genre étant l'idée d'un détective toujours un peu à la masse, alcoolo/dépressif, ici, c'est montré et affirmé - le privé n'est dans le fond qu'un type un peu bouffon, qui n'a plus rien à part "un chapeau, un imper et un flingue". Et même le pétard ne lui sert plus à rien, comme il le constate: "But, I'm the one with a gun! When you have a gun, people are supposed to do what you tell them". En vain: on est  en bout de course, en bout de monde pour un type paumé dans son imper minable. 

After dark, my sweet, Foley, 1990
Série Noire, Corneau, 1979
Coup de Torchon, Tavernier, 1981
Farewell, my lovely, 1975

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