samedi 15 novembre 2014

Zbogom Andergraund!

                       



Zbogom Andergraund - Adieu, Underground est le titre d'un texte (et d'un livre récemment consacré à) de Saša Marković, connu aussi sous le pseudo Mikrob. Formé à l'école de la résistance au régime serbe des années 90, il fait partie de ceux qui ont fait la culture underground de cette décennie. Mais que devient le milieu underground quand ce par opposition à quoi il se définit cesse d'exister, le coopte, voire le rachète purement et simplement?

Rentrée à Bruxelles après une longue absence, je retrouve une ville que je peine à reconnaître. Que le centre-ville se soit transformé en gigantesque parc à thème pour touristes, que les galeries de la reine ne soit plus qu'un immense magasin de chocolat immondes, que Les Postiers soit devenu une banque, passe encore: finalement, on parle d'une microscopique partie de Bruxelles. 

Là où je suis plus marrie, c'est concernant le paysage culturel qui s'offre à moi: sans avoir été une grande activiste dans ce domaine, j'avais le souvenir d'une ville avec encore une certaine énergie alternative, des lieux pas complètement vendus, des zones encore non-balisées. Et là je me demande où the fuck est cette ville? En 6 ans, le Recyclart est passé de Poni Hoax à des après-midi kids, le Magasin 4 se retrouve le long du canal dans un putain de hangar, et la Batellerie est redevenue une école.

D'un autre côté, les institutions culturelles subsidiées se la jouent genre jeune cool en se rebaptisant à coup de langage SMS et en organisant des soirées electro dans des salles de velours capitonnées. Tout ce qui reste de culturel semble être destiné à un public unique, qui a entre 25 et 45 ans, plutôt arty, relativement friqué, à prétentions intellos sans en faire trop, à la recherche de sensations qui ont été testées pour lui, et souvent affublé de fausses lunettes de nerd. Que ce public ne représentent qu'un millionième de la société bruxelloise, on s'en balance royalement, c'est à lui qu'on cherche à faire plaisir, lui qu'on veut caresser dans le sens du poil de peur de le voir fuir cette ville nouvellement devenue "trop cool".

Ce qui me trouble un peu, c'est qu'une partie de la population bruxelloise semble adhérer complètement à ce switch vers une culture ultra polie, bien gentille, politiquement correcte et de façon globale, multiculturelo-boulechite. Bruxelles me fait penser à une vieille pute qui connaît un regain de gloire sur le tard et qui le prend pour elle sans se rendre compte qu'on la fourre plus souvent tout simplement parce qu'elle est moins chère, à peu près abandonnée par son mac et hyper accessible en train. 

Alors quoi, Zbogom Andergraund? Non pas encore. Dans mon malheur, je me suis trouvée quelques coins dans lesquels on peut encore voir une nana enceinte jusqu'aux yeux taper sur un tom basse en calant des accords (?) de piano avec ses pieds le regard complètement perché en altitude, un sosie de William Dafoe faire de la musique post-punk-cowboy et une foule bigarrée de gens qui dansent en patins, qui causent en javanais et tentent de survivre dans cette putain de capitale ultra ripolinée qu'est devenue Bruxelles. 

Zbogom Andergraund, Saša Marković Mikrob, Remont, 2013.

mercredi 12 novembre 2014

Cataract City

"You want to know how Cataract Falls came to be?" he said. "America swept all its shit north, Canada swept all its shit south, and the dregs of the dregs  washed up in a string of diddly-ass border towns, of which Cataract City is undoubtedly the diddliest.

Je m'étais déjà étendue sur The Fighter et Rust and Bones qui malgré l'adaptation génocidaire d'Audiard reste une putain de claque; Cataract City, dernier opus de Davidson est à la fois une reprise et  un dépliement des deux bouquins précédents. 

Dépliement, parce que plutôt long et avec un projet plus large: raconter une histoire d'amitié entre deux garçons  à  travers une série d'étapes marquantes et reprise, parce que tous les thèmes qui sont déjà dans Rust and Bones sont dedans.

Du point de vue de l'écriture, ça donne quelques chose de moins concis que dans les nouvelles, de plus posé et détaillé, moins nerveux - quelque chose qui pointait déjà dans The Fighter, mais dont le rythme était préservé par le format dyptique qui oscillait d'une histoire à l'autre. Ici, même si le point de vue temporel est pris à différents niveaux - récit à postériori/récit imbriqué - ça reste plutôt classique comme ligne narrative, avec parfois des épisodes un peu longuets - le trip dans les bois, limite fatiguant. Bizarrement, ça fonctionne en fait bien: on s'étonne un peu au début du découpage cinématographique ultra lent, travaillé à plein de niveaux sensoriels différents et d'une putain d'abondance de détails - mais c'est quand qu'y cogne didon? - mais une fois installé dans le rythme et surtout dans le cadre qui essaie de toucher à ce qui est immense et immobile dans l'air, en fait, ça se tient du point de vue fond/forme.

On suit donc l'évolution de deux marmots dans une ville du bout du monde, comme les aime Davidson: à la frontière, à la lisière même du monde civilisé, dans une ambiance redneck pulp avec dans le désordre: des courses de lévriers, des combats de chiens, des match de box illégaux, de la contrebande de clopes et des histoires de testostérone qui tournent mal. C'est un peu ça qui pêche pour moi: un côté surabondance de thématiques chères à Davidson (et au genre gracieusement par moi défini) qui fonctionnerait bien dans un recueil de nouvelles, mais qui fait un peu beaucoup pour un seul héros - genre, il leur arrive TOUT ce qu'il peut leur arriver de pourri dans ce coin du monde. Ça et quelques trucs un peu clichés ( les amis d'enfance devenus frères ennemis parce que des deux côtés de la loi, de ce style)

L'idée de base est plutôt ambitieuse: c'est à la fois le roman d'une ville, l'histoire d'une amitié et un genre de roman de formation (+ un recueil de nouvelles pulp qui revient hanter les interlignes, peut-être bien malgré l'auteur, preuve qu'on ne part jamais bien loin de là d'où on vient). Pour un projet avec une ambition pareille, ça reste lisible et même prenant. Pour ceux qui avaient aimé le côté uppercut des l'écriture des premiers textes, ça risque d'être un peu déroutant au début, mais qu'on ne s'inquiète pas: la première scène de fight arrive à mi-parcours et réchauffe les pages parfois ardues d'une bonne giclée de tripes, de plaies ouvertes cautérisées à vif et de cartilages défoncés. Comme un bon feu dans une cheminée un soir d'hiver, haaaaaa.

dimanche 9 novembre 2014



Deerhunter- Dream Captain
Black Lips- Drive by Buddy
Dull Tools- Yonder is closer to the heart
Cloud Nothing- Now hear in
Perfect Pussy - Interference fits
St-Vincent- Psychopath
Best Coast- I don't know how
The War on Drugs- In reverse
Woods- Back to the stone
Timber Timbre- Grand Canyon
Tow Waits- Anywhere I lay my head
Sharon Jones- Stranger to my happiness
Hoagy Carmichael- Am I blue

vendredi 7 novembre 2014

Ecran total

Toujours à la recherche de l'ultime redneck survival, j'ai été conviée à voir Eaten alive (à ne pas confondre avec Eaten alive! dont on reparlera bientôt), un excellent Hooper qui nous montre un vieux texan déjanté et son crocodile pas très dandy pour le coup. C'est d'ailleurs la première fois que le synopsis d'IMDB me semble dire tout ce qu'il y a à dire: 
A psychotic redneck who owns a dilapidated hotel in rural East Texas kills various people who upset him or his business, and he feeds their bodies to a large crocodile that he keeps as a pet in the swamp beside his hotel.
Neville Brand qui est apparemment connu des amateurs de western est ici aussi une sorte de cowboy dont on chercherait encore à équilibrer le dosage médicamenteux - on ne comprend pas grand chose à sa diatribe ininterrompue, mais une chose est certaine, il aime pas beaucoup les gens. On a été scotché par la taille de ses dents - rêves fiévreux du mot "ratiches" s'ensuivant - et par le final plutôt cool: pour une fois, les nanas s'en tirent et seule la jambe de bois remplaçant une jambe déjà bouffée par ledit croco subsiste.

Toujours dans le style redneck, Straw Dogs est situé dans la campagne anglaise, mais pas moins pile dans le genre: dans une configuration "intello mou du genou VS bouseux ultra virils" avec une bonne au milieu, on voit Dustin Hoffman (franchement supportable) se transformer en Mc Gyver boucher domestique - et se rendre compte du kif après coup. Ouaih, tuer c'est frais! La première heure est un peu lente à certains égards, mais on peut pas non plus tailler dans le lard pendant une heure et demie sans interruption. Et cette mise en place reprend un certains nombre d'éléments qui font le genre: la rencontre initiale dans un bar, la convoitise de la femme du mou, la visite à l'Eglise, les intrusions discrètes mais finalement plutôt violentes: tout ça construit la dernière demi heure et donne d'ailleurs un côté plutôt surprenant (et bienvenu) à la débauche de tripes du final. Chose étrange: ici aussi,beaucoup de méga chicots chez les terreux: genre Darwin est pas passé par là.

The Brood est un film comme  je les aime: un peu de psychanayse délirante, des organes qui poussent sur les gens, et surtout des enfants maléfiques. Le principe est vraiment dément: une nouvelle thérapie révolutionnaire permet aux patients de donner une forme physique à leur haine - en général sous forme d'excroissances, de maladies et autre. Garantie "soma free", on peut se douter que ce genre de truc va mal tourner et donner des images pas miam. Entre un type qui se retrouve avec un cancer assorti d'un bon gros goitre protéiforme bien gore et une meuf qui  finit par donner naissance à des power ranger nains vengeurs 

trop badass les chiards.
qui tuent tout le monde, tout ça finit dans le sang et la douleur.  C'est une nouvelle façon de travailler le rapport entre organique et intellectuel qui me plait bien - ça change des machines en chair - et puis toute la pseudo-science et le discours autour de la thérapie psychoplasmique est vraiment géniale.

Eaten Alive, Hooper, 1977
Straw Dogs, Peckinpah, 1971
The Brood, Cronenberg, 1979

samedi 18 octobre 2014

Fins de mondes


Phase IV ressemble un peu au souvenir que j'ai d'Arachnophobia: surtout pour le coup de la tranchée remplie d'essence pour tenir les araignées à distance - truc qui ne fonctionne de nouveau pas, comme quoi. Ici, il s'agit de fourmis et pas d'araignées. Comme très souvent dans la mise en place de projets scientifiques, quelqu'un se dit quelque part qu'il serait utile d'étudier des fourmis parce qu'elles commencent à devenir hostiles. C'est plutôt vague, mais ça suffit visiblement à caler deux types sous un dôme en plexi en plein désert pour un temps indéterminé. 


On découvre alors que les fourmis, en plus d'être méga organisées, communiquent et se préparent à envahir la terre - comme on le soupçonnait depuis le début. La phase IV n'arrive jamais - c'est le soleil couchant incandescent du dernier plan qui fait dans la métaphore bien lourde et le crépuscule de la race humaine. Tout le film est plutôt concentré sur le mode deux-scientifiques-sont-sous-un-abri-en-plastique-dans-le-désert-sans-air-co, qui reste? Une petiote rescapée d'une opération fulmigination (?) vient apporter un peu de distraction - mais ne sert absolument à rien dans l'économie générale.  Pour le reste, c'est plutôt bien fait: beau vaisseau spatial/labo, 

quelques questions existentielles nietzschénnes light ("faut-il continuer au péril des êtres humains qui peuplent ces terres pour le bien de la science") et des fourmis qui finissent par faire des trous dans la peau: la classe!


The music room raconte la fin du monde à l'échelle micro: celle d'une vie humaine. Un propriétaire terrien (ou un suzerain, dans le genre) bengali dilapide sa fortune dans des concerts de musique privés qui sont certes un tentative de maintien des apparences, aussi une passion qui prend le dessus sur le reste. Comme beaucoup avant lui, son amour du bon son va le ruiner: bijoux de famille vendus, famille à la dérive jusqu'au coup final porté par le naufrage des siens.La fin de son monde est aussi la fin d'un monde, celui d'une certaine organisation de la société, d'un certain état des choses traditionnel - il finira par brûler ses dernières cartouches et filer à poney parcourir une terre à moitié désolée que d'autres arpentent à présent en voitures pétaradant. Les longues scènes de concert sont faites avec pas mal de goût, évitant le folklorique condescendant et le statisme, disséminant ça et là des gestes minuscules, des réactions qui font avancer l'histoire en fond.

Toujours dans la musqiue, Dong - The hole se passe lui après la fin du monde - ou presque. Dans une ville abandonnée par ses habitants en pleine épidémie de fièvre du cafard - littéralement: les malades touchés se mettent à avoir peur de la lumière et cherchent les coins sombres et humides - deux voisins se rencontrent par l'intermédiaire du trou dans le plafond qui relie leurs appartement. Pas vraiment d'histoire, pas de dialogues, un bruit de pluie constant limite irritant, l'humidité qui augmente, dans l'appartement du dessous et une femme qui finit par se terrer sous ses couvertures: tout ça n'est pas bien gai. C'est alors que pour une raison inexpliquée, des courtes séquences de cabaret sont intercalées: tout de paillettes vêtus, montés sur des talons vertigineux, les personnages investissent les coursives de leur bloc, les escaliers du marché couvert, les ascenseurs pour des reprises de Grace Chang, actrice/chanteuse chinoise des années 50. C'est ultra bien fait avec des jeux architecturaux géniaux, une ambiance karaoké apocalyptique démente et un final qu'il est trop chou.


 

Phase IV, Bass, 1974
The music room, Banerjee, 1958
Dong, Tsai, 1998.

dimanche 12 octobre 2014

Ecran total

Comment me suis-je retrouvée à regarder ce film, très bonne question: Gun Crazy semble pourtant être sur toutes les lèvres. Une histoire d'amour avec des flingues et un couple de braqueurs en cavale - rien de nouveau. Mais il y a un petit charme qui fait tout: notre gentil héros, dont il est dit depuis le début qu'il tue parfois, mais seulement des "choses", va se retrouver, après avoir été séduit par une hétaïre qui manipule la crosse aussi bien que Dolto un symbole phallique, marié sans vraiment avoir eu son mot à dire. Ici, notons la scène de  demande en mariage la plus romantique de l'histoire du cinéma: "heu dis chou, tu t'arrêteras bien au prochain bled pour qu'on trouve un officiel" " un officiel, mais pourquoi donc?" "Bah c'est quand même pas un barman qui va nous marier" "ah donc ça veut dire que..." "oui, je le veux" qui finit d'ailleurs dans un cadre dont toute femme comme il faut rêve:

                              

La classe. Mais c'est sans compter sur cette gourgandine, qui n'est pas qu'une bonne tireuse: elle est aussi méchante comme une teigne et va, avec ses beaux zet longs cils entraîner son cher et tendre toujours plus loin dans le crime, rhaaa - comme le dit le titre: deadly is the woman, mouahaha.

The Wicker Man parle aussi de gens cinglés, mais en plus vintage: le pauvre policier qui se retrouve à enquêter sur une disparition - qui n'en est pas vraiment une, spoiler - voit tout son précieux catéchisme foulé aux pieds par des hordes de hippies qui mangent des pommes et se déguisent en animaux à la pleine lune. On retrouve le bon vieux débat super catho VS païen où le païen est finalement le moins vilain (or is it?) et plein de vieux clichés sur les rites tribaux - danse à poil autour du feu, menhir à la Stonehenge, femmes super chaudasses dont le pouvoir d’ensorcellement traverse les murs (scène intéressante featuring la meuf à Rod Steward) et moralité sur le déclin de façon globale. Parfois un peu lent et certains se sont plaints du manque de meurtre. 

Une soirée Z consacrée aux films punk - voilà qui est bien trouvé. Le premier échantillon, Class of 1984 est plutôt réussi, même si au final pas très punk - c'est l'ordre établi qui gagne- et se sert surtout du prétexte pour confirmer que la Thatcher avait bien raison de fourrer tous ces dévergondés en prison. La situation de départ est intéressante: un lycée dans lequel toute forme d'autorité a disparu au profit d'une punkisation généralisée des élèves qui refusent de jouer en rythme dans l'orchestre et qui portent des jupes bien trop courtes. Entre un jeune prof idéaliste, qui croit changer les choses et rentre en conflit avec le noyau dur. A partir de là, ça pourrait tourner au psychodrame écrit par Bégueaudeau, heureusement, ça part bien en vrille. Entre un vieux qui finit par perdre la boule et donner cours un flingue à la main (mon rêve secret) avant de foncer sur les mioches en bagnole (encore mieux) et une dernière demi-heure en mode "rape and revenge", il y a suffisamment de sang et un happyend qui laisse présager le meilleur pour l'avenir de l'éducation américaine. 

Liquid Sky est visiblement un film culte: je vois bien pourquoi, mais reste qu'il faut une certaine dose de second degré/d'alcool  pour encaisser la chose. Le pitch est pourtant super sexy: des aliens qui se nourrissent d'une hormone produite par le métabolisme à la suite d'un fix d'héroïne se posent sur le toit de l'appart d'une lesbienne-mannequin en pleine crise de bowisation aigue. C'est bien vu, y a toujours plein de drogués chez elle. Mais subtils, les aliens ont capté que ladite substance est également produite lors de l'orgasme. Comme notre wannabe warhol se fait sauter par tout et n'importe quoi, ça tombe bien. C'est là que ça se corse, puisque chaque personne qui jouit dans un certain rayon des aliens est immédiatement absorbé et disparaît. La maligne comprend alors qu'il lui suffit de se faire sauter par ses pires ennemis pour les liquider fissa. Exposé comme ça, c'est un peu limite. Mais c'est sans compter sur l'ambiance performance 80's avec musique inspirée (Me and my rythm box), costumes à épaulettes géantes et maquillages délirants. Le statut culte n'est donc pas volé. On mentionnera aussi le génie du traducteur qui a traduit "alien" par "étranger" donnant un sens métaphorico-politique vachement complexe (et probablement sans aucun sens whatsoever). 

Gun Crazy, Lewis, 1950.
The wicker man, Hardy, 1973
Liquid Sky, Tsukerman, 1982
Class of 1984, Lester, 1982

samedi 11 octobre 2014

Redneck pulp

Ça fait un moment que je me plains de la mievreté de la littérature française: pas le début d'une idée, pas la moindre prise de risque stylistique et même pas une bonne scène d'énucléation pour racheter le tout. Faut dire que je ne m'y intéresse plus vraiment depuis un moment - tant qu'à se faire chier à relire le centième récit d'un quadra en déroute sexuelle perdu entre la rive gauche et le Marais, autant relire Proust. 

Un ensemble de livres vient d'ailleurs de me confirmer qu'il ne sert à rien de s'échiner et qu'il faut plutôt se tourner du côté des States pour assouvir ce genre de pulsion littéraire: un style, plutôt vague et uniquement par moi défini, qu'on pourrait désigner par le terme "redneck pulp" vient donner une grande mandale à la littérature avec des majuscules à fioritures de vieilles rombière. Pulp parce que ça ne cherche pas à faire des grandes épopées, des fresques melviliennes et que ça n'a pas la prétention méta-intellectuelle d'un Pynchon ou la débauche maniaco-dépréssive d'un Wallace, et puis redneck, parce que ça parle de cet immense territoire coincé entre New-York et Los Angeles qu'on appelle America ( je cite ici Ned Flanders). Il est difficile de classer ces trois recueils qui ne sont probablement que la partie émergée d'un iceberg d'histoires bourrées de pick-up rouillés et de labo de meth dans les champs: je les ai rangés du plus crade au plus clean, ça peut toujours servir.

C'est dans ma quête du southern gothic que je suis tombée sur Crimes in Southern Indiana, premier recueil de Frank Bill, qui tient aussi une house of grit. On voit le genre. La série de nouvelles tourne autour du même territoire - qui n'est d'ailleurs pas à proprement parler le Sud - mais qui est suffisamment paumé pour donner une idée du non-lieu qu'il représente sur la carte du monde. Le truc s'ouvre sur un deal qui tourne mal: dans le texte, ça donne un truc parfois limite compréhensible niveau vocabulaire, avec une vague idée de cerveau qui explose, de têtes arrachées et d'une espèce de nonchalance très Americana post-Malick ( en plus dégueu). Le reste est à l'avenant: chacun à sa façon et chacun avec son drame - l'alcoolo qui vend sa petite fille pour payer les médocs de sa femme, des types à la chasse au cerf explosés sur le bord de la route, des fantômes planqués dans les bois qui survivent à coup d'amphétes diluées dans le bourbon et une odeur d'eau de Javel dans l'air.  On pourrait penser que c'est répétitif: ça l'est: les histoires se recoupent, se font écho et finalement, c'est un peu toujours la même misère, les mêmes pick-up et la même matière grise étalée sur le pare-brise. Mais c'est un peu ça le principe: une collection de vies ratées exposées à cru sans chercher à faire joli et encore moins à faire sens. Du point de vue de la langue, ça grince, ça jargouine, ça bouffe ses mots et ça se déchire quelque part au niveau du cortex. Le lecteur avisé ne s'aventurera d'ailleurs pas sans une documentation à l'avenant à portée de main.

Knockemstiff est un degré en-dessous dans la crasse: un espace géographique limité à une seule ville - y'a même un plan!- peuplée de mi-consanguins, mi-tarés toujours en mode amphéte/bourbon/vieilles bagnoles poussiéreuses et dinner blafards à 4 heure du. Mais là, y'a des trucs plus drôles, des histoires parfois mignonnes, comme cette histoire d'amour complètement malentendue entre un ex-toxico et une fille qui planque des fish-stick dans son sac à main, ou celle du bodybuilder fou qui se suicide à coup de poses sur le bord de la route par moins 15. Plus dans un esprit "fuck it" et au-delà du bien, du mal et du taux limite d’alcoolémie, on a parfois un peu envie de gerber, mais tous ces types nous font plus rire que pitié, comme le héros de Bactine: " I found myself wishing I had a loved one who would die and leave me their barbiturates, but I couldn't think of anyone who'd ever loved me that much. My uncle had already already promised his to the mail lady". Genre miiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiignon ou quoi?

Enfin, Animal rights and Pornography, de Miller est peut-être le plus difficile à qualifier. Certes, il commence sur ces mots; 
In a large and ancient family farmhouse at the edge of civilization, the mother caught in a routine of cleaning and cooking, has long since become distant from the father, and he begins to fuck the only daughter. Eventually, the oldest son notes this and, half out of a sense of hunger and half out of a sens of wanting to possess and protect the girl, he begins to fuck her too. Taking part in a kind of silent power  struggle, the father begins to fuck the oldest son in his ass. They go around like that for some time. 
Alors oui, c'est du pulp, parce qu'un ensemble d'histoires à deux balles, de tranches de vies oubliées dans le bac à légume d'un frigo éteint pendant les vacances, et c'est peuplé de gens complètement ravagés, entre consanguins, bouffeurs de clebs, stripteaseuses, et de bébés qui s'appellent juste Bébé. Mais en même temps, il n'y a pas de critères géographiques qui jouent: c'est partout et nulle part en même temps. Pas d'ancrage dans l'espace ni dans le temps d'ailleurs. En fait, ce qui fait la qualité du livre, loin au-dessus des deux autres du point de vue style, c'est le côté ultra minimaliste, propre, immaculé, concis et précis comme un méga-silencieux sur un putain de flingue puissant. En toute délicatesse, Miller te raconte les pires histoires du monde, les trucs les plus atroces, que même quand ils commencent bien, tu sens le truc venir et tu te mets à chouiner à l'intérieur parce que t'aimerais bien que ça parte pas par-là putain mais au fond, c'est pour ça que c'est bon: au final, c'est là qu'on veut aller, même si c'est pas très avouable.  

Crimes in Southern Indiana, Frank Bill (2011)
Knockemstiff, Donald Ray Pollock (2009)
Animal rights and Pornography, J. Eric Miller ( 2004)