dimanche 18 mai 2014

Ecran total

J'ai finalement vu Casablanca, après en avoir lu et entendu beaucoup de choses - en secret, j'ai passé le film à attendre le dernier plan brumeux du sacrifice du héros maudit en forme de rédemption express. J'avais d'ailleurs déjà entendu tellement de fois le nom de Viktor Lazlo que j'étais persuadée que c'était un personnage historique. Voilà ce que le cinéma fait à mes connaissances historiques déjà vagues. Je commence à apprécier de plus en plus Bogart dans ses rôles de méchant-mais-pas-trop, avec sa ptite moue de côté et ses bourbons. Pour une fois, on le voit dans une scène plutôt intense de mélancolie alcoolisée, infiniment triste et hors de tout second degré. C'est surprenant et beau. La situation géopolitique bizarre de cette région durant la deuxième guerre mondiale (+ mon histoire lacunaire mentionnée plus haut) laissent libre cours à une série de rebondissements ennemis/amis ainsi qu'à des petits outburst de fierté nationale (mal placée?). Il y a aussi cette ambiance de film d'espionnage tout en clair/obscur (comme les personnages et leurs motivations, mouiii).

C'est un des derniers du cycle Ciao America, qui reprend une série de film des 60-70's illustrant la rupture dans le cinéma américain, et je commence seulement à  comprendre ce qui change vraiment - aussi parce que j'ai relu la fin de l'Image-Mouvement. En y réfléchissant, j'aurais dû garder The last picture show pour la fin, ça aurait eu plus de classe, mais j'suis trop rebelle. Le film raconte la vie d'un village au Texas, un truc avec un cinéma, un diner et une pompe à essence. Gravitent autour de ces lieux des personnages un peu paumés - un père avec son gamin simplet, une paire de petits jeunes entre le lycée et la suite, une ouvreuse/caissière de cinéma, une femme de coach en pleine midlife crisis. Des relations se font et se défont, parfois sur des malentendus, parfois juste sans faire exprès et la continuité d'une vie sans aspérités finit par partir en vrille et se solder par la mort cruelle, injuste de l'observateur innocent et muet de cette désintégration. C'est plutôt pessimiste quant à ce que l'avenir nous réserve, et vu l'époque, ça ressemble un peu à un coup de semonce à l'optimisme des 60's et ses chevelus trop cool. 

Les petites marguerites (Sedmikrásky) fait partie des films qui ont marqué la nouvelle vague tchécoslovaque, avec un tas d'autres films que franchement je ne connais pas. Mais celui-là, je le vis. On reconnaît bien une série de motifs de l'époque - même si elle ressemblait à quelque chose de radicalement différent de ce côté là du monde: le besoin d'une certaine légèreté dans les rapports au monde et à la vie, l'errance pour elle-même, sans vraiment de but autre que sa propre immobilité (on ne va pas vraiment quelque part), la revendication d'une forme nouvelle, la jeunesse comme centre d'attention. Il y a beaucoup de choses vraiment réussies, surtout dans les expérimentations graphiques qui arrivent à ne pas transformer le film en truc arty impigeable, et quelques scènes en mode slapstick vraiment chouettes. Par contre, j'ai du mal avec l'étiquette "film féministe". Je trouve pas vraiment que ce soit un film à la gloire de l'intelligence des femmes.

The fruit of paradise ( Ovoce stromu rajských jíme) est un autre film de Chytilová, un peu moins jouasse. Il y est question d'un triangle amoureux entre Eva, le Diable et Jozef (confusion des générations, bonjour). Au seuil du film, un prologue d'une quinzaine de minutes d'images en surimpressions montées les unes aux autres façon slow motion, avec une partition classique chorale de la Genèse fait entrer dans le film par le biais des éléments naturels pris dans une matérialité plastique plutôt bien rendue: les surfaces, les aspérités, les creux et les bosses, le liquide, le solide et l'entre-deux. On est ensuite subitement face à un couple qui fait la sieste sous un pommier. A partir de là, c'est une partie de cache-cache entre Eva, son désir et son mari. Difficile à résumer, on voit surtout une série d'épisodes, certains drôles, certains moyens, certains carrément abstrus. On retrouve plein de symboles, de références bibliques, parfois trop chou - le signe de la bête, c'est un chaton mignon. Visuellement, ça fouille, ça fouine et parfois ça trouve: des plans géniaux d'un jardin d'Eden hallucinant, des décors naturels rendus baroques et toujours des images coupées, montées, inversées, triturées à l'infini.

Casablanca,Curtiz, 1942
The last picture show, Bogadnovitch, 1971
Sedmikrasky, Chytilová, 1966
Ovoce stromu rajských jíme, Chytilová, 1970

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