Ça fait un moment que je n’ai
plus pris la plume, pourtant, que de bons films ces derniers temps – autant que
de déconvenues, mais ce sera pour un prochain numéro. Ces trois premiers films n’ont
pas grand-chose en commun mais quelque part en fait si : ils parlent de
domination, de résistance et de fantasme du chevalier sauveur.
Nocturama est à cet égard bien étrange : film sur lequel on a
pas mal bavé quand il est sorti : bah oui, il parlait de terrorisme dans
un contexte pas franchement folichon mais surtout, il avait l’outrecuidance de
parler de terrorisme politique, carrément ancré à gauche et qui pose un peu la
question : alors quoi, sont sympas ou pas les terroros, huum ? Je m’en
fus donc le voir avec circonspection, peur de me retrouver devant un énième
film de gauchiste nostalgique d’Action Directe, mais je savais par dedans moi
que Bonello était plus finaud. Et il l’est, de façon assez démentielle. Le film
raconte donc un attentat, ou plutôt des attentats, coordonnés, minutieusement
préparés et exécutés en plein Paris pour frapper au cœur de la société capitaliste
(qui est trop méchante). Sous les cagoules, des petits jeunes plutôt
mignons et le teint frais, un peu
banlieue mais avec le bac, bref, des gens comme vous zet moi. Tout est filmé
quasi sans un mot, au rythme des rames de métro, des échanges de sac, des
micro-actions qui convergent toutes vers un truc qu’on sent global et qui va
faire mal. Arrive l’explosion finale et ces petiots se retrouvent tous autour d’un
bon verre dans les galeries Lafayette une fois celles-ci fermées. Vous me
direz, y’a mieux comme planque, mais bon. Et c’est là que le film devient
vraiment intéressant : ces gamins, paumés dans un centre commercial de
luxe et enfermés pour la nuit, que font-ils ? Ils parlent de Nietzsche ?
Ils débattent sur la lutte des classes ? Ils écrivent des trucs
révolutionnaires sur les manteaux du rayon fourrure ? Bah non. Ils
essayent des baskets super chères, ils bouffent des gâteaux de chez Fauchon et
ils mettent Rihanna à fond. Ça fait un peu chelou du coup : et quoi, la
révolution sociale, alors ? C’est
là que c’est assez superbe : on se rend compte qu’à posteriori, on a peu d’info
sur leurs raisons, motivations – en fait, quasiment aucune n’est énoncée comme
telle. On peut juste supputer, supposer et surtout projeter ce qu’on pense être
les raisons de leur colère. Mais est-ce que ce ne sont pas un peu les nôtres
dans le fond ? Ça renvoie un peu au fantasme du gentil quadra installé
dans sa vie qui s’imagine que les jeunes vont faire la révolution qu’il n’a pas
eu les couilles de faire à leur âge « wouaaa, trop forts les jeunes,
trop bien les printemps des peuples, trop cool les indignés » alors que c’est
surtout une révolution qui tourne à vide, on dirait qu’on sait pas trop
pourquoi on la fait, on y croit mais est-ce qu’on comprend vraiment ou juste
besoin d’un truc à faire le samedi soir ?
Autre film attendu longtemps, le
récit de l’affaire Arche de Zoé fait par Lafosse dans Les chevaliers blancs. Lafosse n’est pas mauvais quand il s’agit de
parler de fait divers et il le fait ici de nouveau avec pas mal de classe. L’histoire,
on la rappelle vite fait : c’est cette association partie en Afrique
sauver des orphelins et qu’on a chopé sur le tarmac d’un aéroport avec une
centaine de gamins dont la plupart n’était absolument pas orphelins, gamins
destinés à être adoptés par des familles en France qui avaient « contribué »
à l’association à hauteur de 1000-2000 euros. Un truc qui pue un peu, quoi.
Ici, c’est raconté de très près, comme d’habitude, sans trop de pathos, à
travers le déroulé de l’action humanitaire, ses déboires, ses emmerdes. Il n’y a
pas de jugement comme tel mais la charge est plutôt lourde : ça dresse un
portrait assez flippant de la gentille âme charitable, de la bonne volonté du
bon blanc et de l’eurocentrisme de base qui reste un obstacle assez énorme à
une bonne compréhension. Images superbe, bande-son bien foutue – seul bémol,
les acteurs, un peu mouais.
Enfin, Elle qui a aussi fait couler beaucoup d’encre de son côté : un film qui parle de viol, d’agression, de domination masculine et de comment on s’en
sort ? Un thriller avec des personnages ambigus, étranges et tous plus
tarés les uns que les autres ? Un film pour laisser Huppert faire joujou
avec tous ses rôles de dominatrix froide et impassible ? Un peu des trois
en fait. Pour résumer, c’est l’histoire d’une femme normale qui se fait
agresser chez elle – genre violer. Comme elle est méga badass (et un peu cintrée) elle ne porte pas plainte
et déballe toute l’affaire à ses potes sur un air de « bon, tiens au fait,
il m’est arrivé un truc, l’autre jour ». Du coup, on s’étonne : mais
quoi, et les flics ? Et l’agresseur ? Et la vengeance dans tout ça ?
Elle, elle s’en fout. Mais l’agresseur, lui, continue à la suivre, lui parler,
l’approcher, la chercher. On n’en dira pas plus, sinon c’est péché, mais c’est
effectivement un film excellent, qui tape sur un truc très intéressant à savoir
la façon dont les autres pensent que vous devez vivre votre agression, comme si
une fois que c’était fait, vous deveniez une sorte de cause publique. Ben en
fait non, et chacun a le droit de vivre ses trucs dans son coin, de gérer comme
il veut, de prendre le pouvoir où il le trouve. Le personnage d’Huppert est
hyper bien foutu, un cliché de femme froide, indépendant et qui a besoin de
personne mais qui est en fait bouffée de tous les côtés par une horde de gens
(surtout des hommes d’ailleurs) complètement assistés qui non seulement la
sucent jusqu’à la moelle mais à qui elle est censée faire croire qu’ils ont
raison. Elle, elle se démerde comme elle peut et le film le raconte très bien.
Après, espérer qu’il livre une morale ou une conclusion sur la question du
viol, c’est prendre le problème à un niveau des fables de la Fontaine : on
est d’accord que la vie est quand même un peu plus complexe, non ?
Nocturama, Bonello, 2016
Les chevaliers blancs, Lafosse, 2015
Elle, Verhoeven, 2016
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