lundi 21 novembre 2016

Ecran total

Ça fait un moment que je n’ai plus pris la plume, pourtant, que de bons films ces derniers temps – autant que de déconvenues, mais ce sera pour un prochain numéro. Ces trois premiers films n’ont pas grand-chose en commun mais quelque part en fait si : ils parlent de domination, de résistance et de fantasme du chevalier sauveur.

Nocturama est à cet égard bien étrange : film sur lequel on a pas mal bavé quand il est sorti : bah oui, il parlait de terrorisme dans un contexte pas franchement folichon mais surtout, il avait l’outrecuidance de parler de terrorisme politique, carrément ancré à gauche et qui pose un peu la question : alors quoi, sont sympas ou pas les terroros, huum ? Je m’en fus donc le voir avec circonspection, peur de me retrouver devant un énième film de gauchiste nostalgique d’Action Directe, mais je savais par dedans moi que Bonello était plus finaud. Et il l’est, de façon assez démentielle. Le film raconte donc un attentat, ou plutôt des attentats, coordonnés, minutieusement préparés et exécutés en plein Paris pour frapper au cœur de la société capitaliste (qui est trop méchante). Sous les cagoules, des petits jeunes plutôt mignons  et le teint frais, un peu banlieue mais avec le bac, bref, des gens comme vous zet moi. Tout est filmé quasi sans un mot, au rythme des rames de métro, des échanges de sac, des micro-actions qui convergent toutes vers un truc qu’on sent global et qui va faire mal. Arrive l’explosion finale et ces petiots se retrouvent tous autour d’un bon verre dans les galeries Lafayette une fois celles-ci fermées. Vous me direz, y’a mieux comme planque, mais bon. Et c’est là que le film devient vraiment intéressant : ces gamins, paumés dans un centre commercial de luxe et enfermés pour la nuit, que font-ils ? Ils parlent de Nietzsche ? Ils débattent sur la lutte des classes ? Ils écrivent des trucs révolutionnaires sur les manteaux du rayon fourrure ? Bah non. Ils essayent des baskets super chères, ils bouffent des gâteaux de chez Fauchon et ils mettent Rihanna à fond. Ça fait un peu chelou du coup : et quoi, la révolution sociale, alors ?  C’est là que c’est assez superbe : on se rend compte qu’à posteriori, on a peu d’info sur leurs raisons, motivations – en fait, quasiment aucune n’est énoncée comme telle. On peut juste supputer, supposer et surtout projeter ce qu’on pense être les raisons de leur colère. Mais est-ce que ce ne sont pas un peu les nôtres dans le fond ? Ça renvoie un peu au fantasme du gentil quadra installé dans sa vie qui s’imagine que les jeunes vont faire la révolution qu’il n’a pas eu les couilles de faire à leur âge  « wouaaa, trop forts les jeunes, trop bien les printemps des peuples, trop cool les indignés » alors que c’est surtout une révolution qui tourne à vide, on dirait qu’on sait pas trop pourquoi on la fait, on y croit mais est-ce qu’on comprend vraiment ou juste besoin d’un truc à faire le samedi soir ?

Autre film attendu longtemps, le récit de l’affaire Arche de Zoé fait par Lafosse dans Les chevaliers blancs. Lafosse n’est pas mauvais quand il s’agit de parler de fait divers et il le fait ici de nouveau avec pas mal de classe. L’histoire, on la rappelle vite fait : c’est cette association partie en Afrique sauver des orphelins et qu’on a chopé sur le tarmac d’un aéroport avec une centaine de gamins dont la plupart n’était absolument pas orphelins, gamins destinés à être adoptés par des familles en France qui avaient « contribué » à l’association à hauteur de 1000-2000 euros. Un truc qui pue un peu, quoi. Ici, c’est raconté de très près, comme d’habitude, sans trop de pathos, à travers le déroulé de l’action humanitaire, ses déboires, ses emmerdes. Il n’y a pas de jugement comme tel mais la charge est plutôt lourde : ça dresse un portrait assez flippant de la gentille âme charitable, de la bonne volonté du bon blanc et de l’eurocentrisme de base qui reste un obstacle assez énorme à une bonne compréhension. Images superbe, bande-son bien foutue – seul bémol, les acteurs, un peu mouais.


Enfin, Elle qui a aussi fait couler beaucoup d’encre de son côté : un film qui parle de viol, d’agression, de domination masculine et de comment on s’en sort ? Un thriller avec des personnages ambigus, étranges et tous plus tarés les uns que les autres ? Un film pour laisser Huppert faire joujou avec tous ses rôles de dominatrix froide et impassible ? Un peu des trois en fait. Pour résumer, c’est l’histoire d’une femme normale qui se fait agresser chez elle – genre violer. Comme elle est méga badass  (et un peu cintrée) elle ne porte pas plainte et déballe toute l’affaire à ses potes sur un air de « bon, tiens au fait, il m’est arrivé un truc, l’autre jour ». Du coup, on s’étonne : mais quoi, et les flics ? Et l’agresseur ? Et la vengeance dans tout ça ? Elle, elle s’en fout. Mais l’agresseur, lui, continue à la suivre, lui parler, l’approcher, la chercher. On n’en dira pas plus, sinon c’est péché, mais c’est effectivement un film excellent, qui tape sur un truc très intéressant à savoir la façon dont les autres pensent que vous devez vivre votre agression, comme si une fois que c’était fait, vous deveniez une sorte de cause publique. Ben en fait non, et chacun a le droit de vivre ses trucs dans son coin, de gérer comme il veut, de prendre le pouvoir où il le trouve. Le personnage d’Huppert est hyper bien foutu, un cliché de femme froide, indépendant et qui a besoin de personne mais qui est en fait bouffée de tous les côtés par une horde de gens (surtout des hommes d’ailleurs) complètement assistés qui non seulement la sucent jusqu’à la moelle mais à qui elle est censée faire croire qu’ils ont raison. Elle, elle se démerde comme elle peut et le film le raconte très bien. Après, espérer qu’il livre une morale ou une conclusion sur la question du viol, c’est prendre le problème à un niveau des fables de la Fontaine : on est d’accord que la vie est quand même un peu plus complexe, non ?

Nocturama, Bonello, 2016
Les chevaliers blancs, Lafosse, 2015
Elle, Verhoeven, 2016

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