mercredi 23 décembre 2015

Southern Gothic

Après un peu avoir chafouiné au bord de la piscine, je commence enfin à plonger avec délices dans le magma bien juteux du Sud: des freaks, des tarés mystiques, des vieilles bagnoles rouillées qui pourrissent dans le jardin et des gens qui ont oublié d'aller chez le dentiste en 2015 (et en 2014, en 2013, en 2012, etc.). Car comme le Serbe rural, le Sudiste a du mal à garder toutes ses dents.

To kill a mockingbird est encore gentillet: c'est une adaptation fidèle d'un bouquin écrit pour être étudié au lycée - pas trop compliqué, un parcours éthique relativement bien fléché (le Bien c'est à gauche, le Mal au troisième à droite) et des personnages tout miiiignons qui s'ébattent dans un Sud certes raciste à crever, mais plein de pitits oiseaux qui chantent et d'accents qui traînent. Le film est donc à cette image, ne révolutionne pas la lecture du livre - difficile à lire de façon vraiment novatrice cela dit - et nous montre une jolie histoire d'avocat blanc qui défend un pauvre noir accusé à tort - tiens, tiens.... Le tout est raconté du point de vue d'une petite fille dont la perspective est tour à tour naïve (les enfants sont trop mignons) mais aussi critique (les enfants sont trop intelligents) et super couillue (les enfants sont trop courageux). Visiblement, Freud n'était pas encore arrivé jusque là. Son avocat de père, Atticus Finch, joué par Peck qui porte bien la lunette et l'air sérieux, est un personnage un peu décalé, un peu à part d'une société dépeinte de façon pas forcément sympa - sont pas méchants, sont simplement des crétins consanguins. Atticus, lui, est trop cool. Ben tiens. En plus, il est méga bon avocat, dis donc. Il est tellement sympa, qu'il ne veut pas tuer les mockingbird - qui auraient pourtant bien besoin d'une bonne fessée à nous faire chier avec leur révolution dystopique en pâte à modeler - et va donc tirer le pauvre Robinson (le pauv'noir) d'affaire, sauf que... Suspense, donc! Si le livre était moyennement ambigu niveau moral, le film l'est encore moins: plein de petites anecdotes latérales qui donnaient une idée un peu plus fine de la société sont évacuées - et avec elles, pas mal de nuances sur le positionnement des personnages. Mais bon, on peut pas tout avoir et dans le contexte de l'époque, c'était probablement déjà ça. 

Et puis ça crée un truc qui est visiblement très fonctionnel dans la mythologie du Sud contemporaine: une manière pour le Nord riche éduqué de se crée un repoussoir, un ennemi intérieur fait de beaufs bouseux limite retardés qui sont en plus racistes et refusent d'aller chez le dentiste. Ça vous rappelle quelque chose? Bah oui, c'est comme ça que notre True Detective, c'est un p'tit Quinquin. Ach.

En termes de freak, Wise blood fait dans le cintré religieux. Un type avec une gueule bien chelou - l'important, c'est les grands yeux exorbités, tendance Mr Robot - qui revient d'on sait pas où mais probablement d'un genre de guerre quelque part dans le monde - on a du mal à suivre avec ces Yankis - et qui après une visite express à la ferme familiale en mode baraque pourrie, renonce à en faire le décor d'un super film d'horreur 

Bouh!
et se barre pour devenir quelqu'un. Son conseiller Actiris lui suggère de faire carrière dans le prêche - parce qu'avec des yeux exorbités habités comme les vôtres, bon, et puis il paraît que c'est en pénurie, alors - et le voilà parti pour fonder l'Eglise du Christ sans Christ - une sorte de religion sans sucres ajoutés. Trop fort! Comme il s'appelle Hazel, on se fout un peu de lui, alors il roule des yeux et ça va mieux. Il rencontre un vieux prêcheur qui fait le malin parce qu'il est aveugle - trop facile - et qu'il a une fille complètement branque (et qui est probablement aussi un peu sa femme quand ça lui prend). La fille en question va évidemment se jeter sur Hazel comme un écureuil édenté sur un café-noisette et à partir de là, rien n'est trop bizarre pour ce cher John Huston, qui réalise ici sous le nom de Jhon Huston et qui retrouve un truc qu'il a l'air de bien kiffer, à savoir les freaks et les ambiances bien glauques - The Misfits, Reflection in a golden eye - et puis encore à voir, il y a Freud: ze secret passion (!) et tant d'autres! C'est un difficile à résumer en fait: il y a aussi un pote à Hazel, fan de gorilles et de momies d'homme de Neandertal qui se cherche un peu, une logeuse avec un problème d'objet a et une pute à laaarge thyroïde avec un certain goût pour la déco indy/pop'art. 


Sling blade, dont on retrouve ici une mise en diagramme des personnages trop belle même si elle ne sert à rien, fait dans le taré homicidaire et est un peu un mélange des deux premiers films, à la réflexion. Karl, un gentil p'tit gars se retrouve meurtrier dans un moment d'inattention: voyant sa mère à terre, le jupon relevé, croyant qu'elle est en train de se faire trousser (les enfants sont trop innocents), tue le méchant monsieur avant de comprendre qu'il ne s'agit point d'un troussage, mais d'un trompage (les enfants sont trop intelligents) et tue donc la môman dans la foulée (les enfants sont trop courageux). Pas de bol, son père n'est pas avocat et il file à l'asile en moins de deux. Vingt ans plus tard, il sort et doit faire face à la société qu'elle est pas gentille. Il commence par aller acheter des frites et tombe sur Jarmusch qui s'avère être moyen en vendeur de fritkot mais finalement plutôt sympa - une bonne idée qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd puisque les Dardenne seront dès 2016 serveurs au fritkot Flagey pour finir de payer le désastre du Palace - mais chuut, c'est encore confidentiel.

Sauce andalouse à part ou sur les frites?
Bref, Karl sort, mange des frites et se jette dans le vaste monde. Alors, méchant, les gens? Meuh non! On est dans l'inverse total de Rectify par exemple, tout le monde est totalement détendu du zlip avec lui. Faut dire qu'il a l'air bien dégénéré - c'est Thornton qui joue Karl et qui s'est visiblement fait amputer la lèvre supérieure pour les besoins du rôle, c'est réussi - et que finalement, il a rendu service à tout le monde en trucidant les deux. Karl va donc se trouver un petit taf, un poteau de 8 ans et demi et une famille d'accueil plutôt bancale, mais bon. Ce bonheur fragile durera-t-il? Non, bien sûr! Un beau-père à moitié jeté va lancer ce petit monde merveilleux dans un mouvement rectiligne mais néanmoins entropique qui va se régler à coups de lame de tondeuse. Schlass! En dehors de Jim, on retrouve aussi Duvall, qui visiblement est dans TOUS les films de cette sélection - il était aussi dans To Kill.. - et qui joue le désaxé à tout âge, ici le désaxé en fin de vie qui chouine. 

To kill a mockingbird, Mulligan, 1962
Wise blood, Huston, 1979
Sling Blade, Thornton, 1996

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