jeudi 31 décembre 2015

Ecran total

Entre deux orgies de foie gras sadique et des transformation de schéma entité-associations étendus, j'ai peu d'inspiration et ai donc regardé ce qui me passait sous la main, ça veut dire un peu n'importe quoi et du cinéma belge sur le côté.

Tokyo Tribe est un film auquel il n'y a pas grand chose à comprendre, mais qui m'a laissée perplexe plus qu'à son tour: d'abord parce que c'est plein de gens qui dansent et chantent dans une sorte d'hystérie clipesque pleine de loupiotes et de choré à la Carey, mais aussi parce que les sous-titres étaient décalés - et que mon japonais est un peu rouillé. Ce que j'ai compris, c'est que le film pourrait être utilisé avec succès dans notre grande lutte antiterroriste (enfin, une fois que nous sortirons de la cave où nous sommes terrés depuis le 13 novembre, à en croire Béatrice Delvaux, qui a probablement été hobbit dans une autre vie), car c'est un film qui fatigue et qui remettrait le plus sémillant trotskiste dans le droit chemin. En gros, il s'agit d'une histoire de gangs qui gouvernent Tokyo (les Tribes donc) et qui s'embrouillent pour une raison plutôt banale - y'en a un qu'a piqué la meuf d'un autre ou un truc du genre. D'où vengeance, bagarre, rimes qui tuent et flow assassin - rassurez-vous, il y a aussi du sang, des grands couteaux et des boyaux en guirlandes, Noël oblige. L'affiche ne ment donc pas: c'est une battle de hip-hop de presque deux heures en japonais. Argh. C'est long, même pour une nostalgique de cette grande époque où on pensait qu'on pouvait régler nos soucis en slammant sa mère. Sion aime bien les problèmes d'ados, entre l'hystérique d'Himizu et la mort dans la bonne humeur de Suicide Club, mais le dernier truc que j'avais vu étant Land of Hope, je pensais qu'il était passé à sa phase Amour (vieillesse + tendresse+un peu de mort en accompagnement). En fait non. Franchement, c'est épuisant, mais il faut le voir. et puis c'est le genre d'expérience qui vous lie à vie avec les gens qui l'ont subie avec vous - un peu comme se terrer dans une cave avec Béa.

Toujours dans les tribus, Préjudice est un film qu'on devrait tous regarder autour de Noël, ce moment si propice à l'ouverture des cadeaux et des névroses familiales! C'est un film qui raconte un dîner de famille quasi infini (on remet la table au moins trois fois) mais au cours duquel on ne mange queud'chie. Ca sent l'étripage au niveau du dessert, chic alors! Contrairement à la famille psychotique à la Coupland où tout le monde est un peu taré, ici on a une configuration "mouton noir" avec un élément qui se chope les petites manies de tout le reste. Cédric est un type sans âge qui vit encore chez ses parents et dont on a décidé qu'il avait un problème. C'est pas vraiment une maladie, mais il est chelou, disons. Une sœur parfaite qui trouve qu'on s'occupe pas assez de son utérus (quand même, se faire engrosser c'est un putain d'accomplissement,non?)  un grand frère qui a visiblement pris la place du père depuis un moment (d'ailleurs absent pendant quasi tout le film) et un père (Arno, rôle de composition ici) complètement mou du genou - plus Non (peut-être) du Père que Nom Du Père. La mère (Baye, tendance Huppert mais pas trop) est évidemment le cœur de ce typhon ordinaire qui mêle dévouement, auto-flagellation culpabilisatrice maternelle tendance judéo-chrétienne, et haine larvée - enfin, larvée, c'est un grand mot. Du point de vue récit, ça se tient très bien, déroulant l'horreur ordinaire des gentilles familles de façon implacable dans un calme rythmé uniquement par des petits morceaux de percus/violon minimalistes. Il y a parfois un côté un peu "textbook", un peu gros dans la schématisation des relations, un peu gros kif de psychanalystes, mais ça va. Visuellement, c'est un peu perturbant, avec un gros travail à partir de profondeur de champs mi-floue mi-molette qui fatigue un peu et une tendance à être très proche du personnage qui tranche un peu avec le ton froid et clinique et les teintes de blanc.gris/métallisée. Y'a Haneke quelque part - en Autriche, tiens.

D'Ardennen est dans la veine "cinéma burné flamand qui parle dans une langue toute chelou" et défourraille bien sa race - franchement. Kenny sort de prison après avoir encaissé pour son frérot qui s'est entre temps tiré avec sa gonzesse (à Kenny), devenue clean et en cloque (décidément). On sent bien que ça va pas aller et ça finit évidemment en meurtre(s) que nos deux amis filent planquer dans les Ardennes, cette terre de mystère et de grands arbres inquiétants. On m'a fait remarquer qu'il existe peut-être quelque chose dans cette obsession d'un certain cinéma belge pour les Ardennes - de Calvaire à Welp, on arrive ici, dans une zone déserte hors du monde, peuplé de consanguins en chapka de chez Colruyt et de travelos badass qui vivent dans des caravanes en plastoc. Ici, c'est assez frappant - d'autant qu'il s'agit du titre - cet espace mythique d'une enfance perdue devenu un territoire quasi gothique aux créatures monstrueuses (des autruches en fait). Le parti pris est noir, avec une mise en scène d'un truc qui pue la misère et la graisse de frite dès le départ: banlieue d'Anvers, boulots minables, avenir avec un échangeur d'autoroute en guise de vue  et toujours le truc qui rôde, le passé, l'erreur, la chose dont on est un peu coupable et qui colle comme un kyste indécrottable - le fils qui revient, qu'on aimerait bien régler une fois pour toute. C'est bien foutu, nerveux, tendu dans les rapports sans tomber dans un truc trop intello. Y'a un peu un craquage de zlip au niveau de la musique - même si ça m'a replongée dans les grandes heures du Cherry Moon, à un moment, ça va. 

Tokyo Tribe, Sion, 2014
Préjudice, Cuypers, 2015
D'Ardennen, Pront, 2015

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