mardi 1 décembre 2015

Ecran total

A la suite d'une pas mauvaise journée d'étude consacrée aux écrivains au cinéma, je me suis plongée dans un micro-cycle plutôt sympa, et qui commence avec deux trouvailles:

The dark half, adaptation d'un roman ultra-kingien, parle de jumeaux maléfiques et d'alter ego d'écrivain qui dézingue tout le monde: ça sent le vécu. L'idée d'un autre intérieur qui triture les bristouilles de l'auteur est un peu partout chez Stephen King, souvent sous la forme d'une bête un peu gore, souvent alcoolo et rendue légèrement schizo par le temps frisquet de Nouvelle Angleterre - Shining, si vous suivez mon regard. Romero aime lui aussi les trucs qui font plop, d'où un splendide prologue qui nous fait découvrir un sympathique marmot dont les maux de tête sont en fait causés par un jumeau qui s'est développé dans son cerveau en tapinois : il a un œil, et même une dent (avec une carie, parce qu'il a oublié de se brosser le lobe à fond). 

Plop!
C'est chou. Après bien des années, notre jeunot est devenu prof de littérature, mais publie secrètement des livres que tout-le-monde-lit-mais-que-personne-etc. et finit par devoir lâcher l'affaire et assumer son alter ego pseudonymique. Le problème, c'est que ce dernier est pas méga jouasse d'avoir été mis au frais pendant si longtemps et va venir faire son grand vexé. On hésite pendant longtemps entre la schizophrénie et le fantastique, mais tout est bien qui finit dans un grand bordel d'oiseaux qui volent dans tous les sens et qui ont l'air vachement hommenivore. Miam!

In the mouth of madness est un peu plus ambitieux et offre une réponse cinglante à ceux qui pensent que la littérature ne sert à rien, puisqu'il s'agit d'un livre qui rend fou: après avoir les yeux qui saignent, les lecteurs entrent dans une phase d'hystérie meurtrière qui les voit prendre le premier objet coupant pour trancher le premier truc contondant qui passe. Evidemment, c'est un livre d'horreur, pas un Marc Levy (quoique le concept soit intéressant: des gens désespérés réduits à ne plus éprouver que des sentiments tout roses et des histoires d'amour de la complexité d'un journal intime de collégienne de 15 ans - ça fait froid dans le dos...). Bon. Un livre d'horreur donc, écrit par un pseudo-King (mais encore mieusse que lui, comme on l'apprend) qui a eu l'élégance de disparaître en pleine promo et qu'un pauvre privé, pas franchement armé niveau critique littéraire (probablement formé à la critique dite Mussoienne, parfois aussi appelée " simplisme astructural") va voir retrouver. Les gens qui ricanent quand on parle de théorie littéraire vont moins glousser: si ce crétin de détective avait relu son Genette, il ne se serait pas paumé dans tout cet entrelacs de récit hétéro/homo/métadiégétique. Voilà, suffisait d'y penser. Mais non! Parti dans une ville qui est en fait dans un livre, il se retrouve dans le livre puis ne retrouve plus le récit-cadre! Mince! Horreur narratologique, quand tu nous tiens! Tout ça va mal finir. On m'a fait remarquer plein d'intertextes avec Lovecraft, que je ne connais pas, mais ça donne envie. Pour ma part, j'ai surtout aimé les portes cronenberguiennes qui suintent et gluent un peu sur les bords, c'est presque du Festin Nu finalement. Beau.

Rien à voir avec les écrivains (mais en fait un peu si) : j'ai maté Before the devil knows you're dead - je me demande s'il ne manque pas une virgule, tiens.  Maintenant que j'ai capté ce qu'était le néonoir, faut plus me la faire. C'est mon premier Lumet, alors, j'suis encore toute émue. Et j'aime bien. Je suis plus certaine de bien comprendre le truc néonoir, du coup, mais c'est probablement pour ça que c'est bien. Point de privé en imper dans cette histoire, mais une paire de frères pas hyper finauds, qui décident de braquer le magasin de leurs propres parents - faites des enfants, qu'ils disaient. Plutôt que de leur demander gentiment. Franchement. Bon, on se doute de la suite: la môman qui n'était pas censée être là, est là (c'est beau comme du Lacan) et pif, paf, ça tire et ça crève, enfin, ça merde. Les film est raconté par fragments à partir de différents points de vue, pris à différents moments avant et après, mais pas forcément de façon minutieuse - ça va un peu dans tous les sens. Ce qui sort de l'histoire, en dehors de l'idée plutôt crétine de base, c'est l'absolue normalité du truc: des soucis de sous, des histoires de couples un peu minables, une relation père/fils pas jojo et puis des ex chiantes, avec des frères tarés, enfin, tout ça s'enchaîne avec pas mal de naturel et sans trop d'à-coups, c'est une suite logique d'événements racontée sans grandiloquence ou climax particulier. Bande-son géniale, rythme impeccable. 

The dark half, Romero, 1993
In the mouth of madness, Carpenter, 1994
Before the devil knows you're dead, Lumet, 2007


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