mardi 27 décembre 2016

Suburbia

Belgrade, 2012

Xiu Xiu - Falling 

Nous, rejetons des survivants, sommes restés nomades: nous ne savons pas cultiver la terre. Personne n'est de nulle part. Personne ne s'arrête. [...] Parfois, la ruine d'un satellite échoué sur une place nous sert d'abri, grotte transitoire où nous ne peignons rien. Notre temps est celui de la marche. Nous fuyons et avançons vers l'ouest, cherchant l'endroit où le soleil se noie.
Les états et empires du lotissement Grand Siècle, Fanny Taillandier,  2016


vendredi 23 décembre 2016

Ecran total

Y’a plein de trucs intéressants qui me passent entre les mains pour le moment mais très peu de temps pour en parler. Je me suis par exemple souvenue que je n’avais quasi rien vu d’Assayas, que j’aime pourtant beaucoup. Alors quoi ? Alors j’ai regardé. Quel bonheur !

D’abord, Sils Maria : histoire d’une actrice vieillissante qui se confronte à la jeunesse, à la mort et à ses rides dans la rencontre avec son rôle, la montagne, les nuages , tout ça. Bon dit comme ça c’est un peu bordélique mais voilà : Juliette Binoche est une actrice bien mure qui se voit proposer de reprendre le rôle de la vieille dans une pièce qu’elle a jouée il y a 20 ans ( et où elle tenait le rôle de la jeune (oui, c’est une histoire d’amour et de coucher pour réussir)). Perdue dans un cabance dans la montagne, hantée par le fantôme de l’écrivain, mort juste en début de film, elle répète ses lignes avec sa jeune assistante, la Kirsten Stewart qui depuis qu’elle a mis des grosses lunettes peut faire du cinéma d’auteur en rentrant les épaules – c’est chic. Les paysages idyliques, les crises de nerfs hystérique, la conscience du temps cyclique : tout ça est très hic. D’ailleurs, elles éclusent pas mal, les petiotes. C’est assez brillant dans l’incertitude entre rôle et vie réelle, dialogue joués et naturels - d’autant plus que tout est joué, même le joué-joué. Assayas nous montre donc sa grrrrosse mise en abyme et c’est même pas mal. Peut-être un peu de caricature dans le rôle de la jeune actrice aux dents longues un peu fuck the system : comme si un truc pareil pouvait encore exister aujourd’hui.

L’autre Assayas, c’est Demonlover, pitch intéressant – une entreprise rachète un studio de manga porno pour devenir le premier distributeur de porno en Europe (ou un truc du style) mais quelque chose de louche se trame, héhé. Au final, pourtant, c’est un peu flou : on se comprend pas bien qui trahit qui, et surtout pourquoi. En tout cas, la vengeance a l’air de faire méga mal.  Il y a tout un truc sur le sexe, le pouvoir, les gens super froids (qui ont toujours besoin d’une écharpe en open-space, pff) et le feu sous la glace de ces frigos ambulants (dans le fond, ils sont chauds comme des baraques à escargots). C’est aussi rigolo du point de vue thriller technologique : ça date un peu quand même, avec des sites web du darkweb qu’on peut y arriver avec un mdp style 123456, des ordis sous Windows 98’et des anims 3D toutes pourries. Bref.

Toujours dans la déviance sexuelle et la vengeance divine, c’est El Club, sympathique drame chilien sur des petits curés perdus au bord de la mer qui font pénitence pour leurs désirs bizarres. Une bande de tarés que l’abstinence a rendus fous paumés au milieu de nulle part, genre dans un endroit bien rural plein de gens super tolérants, en voilà une bonne idée. En fait, il ne sa passe pas grand-chose : ils se promènent sur la plage, entraînent  un lévrier et font leur prière. Arrive un nouveau curé, entraînant dans son sillage un jeune bourré qui a des œufs à peler avec l’église (enfin, qui s’est déjà fait peler les œufs en fait, mais on va rester polis) et qui se met à brailler, comme tout bon bourré, sous les fenêtres des curés à qui ça ne plaît pas trop. Pim, paf pouf, et voilà un cureton la cervelle éclaté sur le carrelage. Pas prop’. A partir de l’introduction de cet élément étranger et disruptif, les choses vont se mettre à partir un peu en couille (haha). Confessions à tous les étages, repentances et pénitence en folaïe, on en prend pour son grade religieux. Visuellement, c’est très beau, dominé par des couleurs clairs nimbées d’une lumière blanche de fin du monde puis évoluant petit à petit vers le noir, la nuit, les contrastes de l’ombre. Très contemplatif, silencieux. Ce qui fatigue un peu, ça et la musique avec violons dans tous les sens, cloches d’église en mode glas-de-la-mort et cette impression de climax qui n’en finit pas – genre 30 minute de climax, c’est trop.

Sils Maria, Assayas, 2014
Demolover, Assayas, 2002
El Club, Larrain, 2015

mercredi 21 décembre 2016

Perfidia

Ça fait un moment que je découvre James Ellroy et je n'en viens pas à bout: quand je crois avoir épuisé tout ce qu'il a fait d'intéressant, bim, j'en trouve un de derrière les fagots. J'ai lu récemment les premiers textes - la trilogie Lloyd Hopkins et A killer on the road: les Hopkins sont très bon, en tout cas au niveau du script, même si un peu répétitifs dans les thématiques (en même temps, c'est le même personnage, dans la même ville). Killer on the road m'a laissée un peu froide: c'est pas mal, mais encore un peu brouillon. Plus dans l'horreur mais pas encore avec la puissance de style qu'on trouve à partir du Black Dahlia et qui  prend sa vitesse de croisière dans Underworld America. 

C'est par là que j'ai commencé il y a une dizaine d'années et ça reste pour moi un truc assez magique: cette capacité à écrire comme une montée d'extas permanente, à faire suinter sur le papier des personnages complètement azimutés, aux sens partis en couilles aux quatre coins du cerveau, à les faire sentir physiquement à la lecture. Et puis à travailler aussi des images de plans en plans, des scènes de films dont on voit chaque négatif, découpées à la machette mais décrites en trois détails ultra rapides, précis comme un poing/t dans une photo ( la chambre claire, tout ça).

Alors Perfidia?
C'est le début d'un nouveau quartet et c'est une très bonne nouvelle, parce que le livre est carrément au niveau. Un peu moins jouissif textuellement que Underworld (mais qui est lui-même à un niveau de baise textuelle qu'il faut peut-être pas essayer de comparer) mais toujours aussi obsessif: les complots, les flics, les pourris, les nazis/KKK, les émeutes à gauche et à droite, la guerre quelque part, les Red en vadrouille, les unions jamais très loin. Une histoire qui part un peu partout, entre meurtres rituels, guerres de gangs et ambiance de guerre 40-45'; ça sent le coup fourré à plein nez à toutes les étapes et on a nous aussi des petites antennes qui tic tic tic se lèvent et captent des messages subliminaux, des trucs qui cliquent dans la tête pour se rendre compte que tout est lié, quelque part tout est décidé. A ne pas lire en plein crise maniaque, donc. 

Le truc un peu bonus, c'est de s'apercevoir qu'Ellroy a réutilisé des personnages d'autres romans qui se passent à L.A. (la plupart de ses bouquins en fait). Genre, des mecs sortis du premier quartet, de la trilogie Underworld et de la trilogie Hopkins, tout ça en un seul roman. Je n'ai pas vérifié livre à livre, mais il ne s'est pas (ou presque pas) planté: tous les personnages qu'il reprend sont cohérents au niveau temporel et au niveau des récits de fond. Là on a un peu envie de dire chapeau pépé, parce que putain, soit il a décidé comme ça, sur une zinne de refaire un roman, 10 ans avant tous les autres en recyclant des personnages, soit il avait tout manigancé depuis le début (mon hypothèse, vu comme le type est un maître du complot fourbe). 

Bref, ça met un peu de gaieté dans la vie tout ça, sachant qu'il y aura encore 3 monstres du genre dans les prochaines années à venir. De quoi nous consoler de 2016 ( l'année pas binaise).


Perfidia, James Ellroy, 2014

mardi 29 novembre 2016

Cow-boy total

En ce moment, ça fouette le cow-boy à tous les étages ( comme je l’avais bien flairé, entraînée que je suis à humer l’odeur du purin qui s’élève dans la plaine). Il y en a au cinéma, en musique et maintenant aussi en politique, c’est dire.

Young ones, ça fait un moment que je l’ai et que je persiste à le confondre avec The Loved ones, sorte de Carrie taré dans l’outback australien – j’en étais même venue à douter de l’existence de ce film. Mais non ! En faisant des recherches sur M. Shannon, le mec qu’a la gueule la plus flippante du monde, je me suis rendue compte qu’il avait bien joué dans ce thriller postapo avec aussi le joli Nicholas Hoult qui bouffait déjà du sable en prévision de Mad Max. Young ones raconte donc l’histoire d’un monde dans lequel il n’y a plus d’eau (ou presque) avec des gens qui vivent dans le désert et qui ont plein d’engins bizarres faits de bric et de broc (genre MM, quoi). Evidemment cet univers est impitoyable et dominé par des contrebandiers/puitiers (genre des mecs qui creusent des puits) avides de pouvoir et d’alcool. Dans tout ça, un petit fermier tente de survivre entre son fils neurasthénique et sa fille hystéro : il deale un peu, manigance vite faite et aimerait bien qu’on irriguât sa terre. C’est sans compter sur le mec de sa gamine, un petit jeunot aux dents longues et sans grande moralité, monté sur une moto du diable qu’il lance à toute allure sur les pistes (un peu comme MM quoi). Bon en gros, c’est un peu comme Mad Max, mais pas tout à fait : il y a une intrigue et même qu’elle est découpée en plusieurs chapitres, qui suivent le parcours des trois héros – le père, le fils, le gendre, chacun barbare et victime à sa façon. Finalement, l’aspect postapocalyptique joue peu – c’est surtout un prétexte pour se la jouer cuir et moustache dans le sable.

Des vrais cow-boys de vrais de vrais, c’est dans Hell or high water (traduit en français Comancheria, merci beaucoup) qui raconte une virée de braquages qui tourne mal. Deux frères cherchent à sauver le ranch familial du fin fond  du Texas bouffé par les dettes et les arriérés : comme l’un d’entre eux sort justement de taule, il se dit – bingo, braquons des banques ! La bonne idée ! Ils y vont donc, en pur mode desperados des plaines (genre pas super préparés, entre deux burgers, avec des chaussettes sur la tête). Evidemment, braquer des banques dans un état où tout le monde  a son flingue à la ceinture, c’est pas top malin. Mais bon. De l’autre côté du Texas, un pépé ranger, à deux semaines de la retraite, embarque avec un collègue mi-mexicos, mi-comanche pour trouver et faire la peau à ces connauds. A partir de là, c’est de la cowboyerie à tous les étages : deux jeunes gars en roue libre, un vieux sur le départ qui égrène ses blagues racistes et sa sagesse redneck de vieux flic avec un indien des plaines pour tout compagnon de voyage : c’est beau. Non, mais c’est vraiment beau, en fait. C’est beaucoup de bagnoles et de larges paysages, de bande-son « bwwoiiing » (Nick Cave à l’écriture quand même) et de questionnement existentiel sur les nouveaux apaches, les rois des plaines d’un espace qu’on se demande parfois s’il disparaîtra un jour (non, en fait).

Finalement, le cow-boy moderne, c’est Snowden, enfin adapté par Stone dans un film pas mal foutu. On y retrace l’histoire de ce pauvre Edouard, obligé de vivre en Russie jusqu’à la fin de ses jours parce qu’il a fait de la merde. En même temps, quand on voit le degré de sécurité des installations, il devait bien se douter qu’on allait pas lui taper dans le dos après. Bref. On voit l’aspect plus évolutif, la construction lente de la décision de tout balancer. Au départ pas super fan des libéraux et des anti-guerre, Doudou change pourtant : c’est grâce à l’amûûr, c’est sûr, mais aussi parce qu’il se rend compte que la lutte antiterrosisssse, c’est pas toujours super mimi. Hé oui, Ed, la vie, c’est pas rigolo ! Mais là où il se fâche tout rouge, c’est quand on lui pique son joli code qu’il avait écrit tout gentiment et qu’on en fait un instrument du diable. Ha oui mais non. Bref, le récit a peu d’importance et le film est assez classique pour un film politique de Stones : peu d’images d’archives cependant, mais toujours des moments très solennels, avec des roulements de tambour militaire en fond (= le héros est en train de vivre un moment décisif pour lui (= son cœur bat, comme le tambour) mais la nation tout entière aussi (=son tambour bat, comme le cœur quoi)). L’histoire et l’Histoire, tout ça. Enfin.

Young ones, Paltrow, 2014
Hell or high water, Mc Kenzie, 2016

Snowden, Stone, 2016

lundi 28 novembre 2016

Ecran total

Toujours n’importe quoi et n’importe comment : les trucs les plus chelous de la semaine.

Lights out, un film d’horreur genre maison hantée qu’on dirait pas comme ça mais qui fait bien peur en fait (à moi en tout cas). Le film s’ouvre sur une chouette scène de massacre sans tronçonneuse avec un monstre qui apparaît dans l’ombre et qui disparaît à la lumière. Creepy. Commence alors le film qui nous présente Rebecca, jeune cool un peu goth, se retrouvant à devoir gérer un petit frère un poil chiant parce qu’il ne dort pas bien, le pauv’ chou. Ceci dit, avec une mère qui passe une partie de la nuit à parler à son amie imaginaire et l’autre à hurler roulée en boule, y’a de quoi. Becky se rend alors chez sa daronne, bien décidée à lui faire prendre ses médocs. Mais c’est sans compter sur la présence maléfique qui rôde, ouuuh et dont Becky percera l’énigme en trois minutes et demie d’un montage didactique à crever (pour si vraiment t’as pas compris). C’est le côté un peu lourd : point de suspensme, au bout de 45’, l’histoire est pliée et on attend juste pour compter les cadavres à la fin. Par contre, ça fait un peu flipper : les trucs qui surgissent dans le noir, les ombres qui bougent dans le dos et tout ça, perso, j’ai gardé ma lampe de poche près de moi.

Aussi une histoire de lumière (dans le titre, pas dans la réalisation), c’est le The Neon Demon de Winding Refn ( qui a perdu des voyelles en quittant son fjord natal). Je n’avais pas aimé Only god forgives qui était une sorte de longue masturbation d’ado shooté aux clips MTV et à l’esthétique David LaChapelle alors pourquoi diable m’être lancée là-dedans. Parce que je suis comme ça, moi, d’une honnêteté intellectuelle à toute épreuve et un peu maso sur les bords. Pis j’aime bien regarder un film en éructant dessus, ça ravigote. The Neon demon donc. Sujet super révolutionnaire, l’histoire d’une petite fille pure qui est engloutie par la machine à fabriquer des clones du monde de la mode. Comme c’est original ! Jesse, donc, est une super trop meugnonne aux longues boucles blondes et au teint frais qui veut tenter sa chance dans la fashion. Elle fait tourner les têtes mais hélas, dans cette grande ville faite de blocs de béton glacés et d’intérieur gris, elle finira par se faire bouffer (littéralement, désolée pour le spoiler) par les gorgones sans pitié qui peuplent ces murs, mouahaha. Des plans lents, gris métallisé, baignés de néon bleus zet rouges, des acteurs placés comme des statues de cires qui débitent des textes écrit par un fonctionnaire de la Capac neurasthénique, de l’électro en nappes épaisses qui font un peu gerber à force : mais quel bonheur. Je me suis endormie 4 fois pendant la première heure (il faut dire que je sortais d’une bonne empoignade avec deux kilos de moules et qu’on était dimanche après-midi) puis j’ai encaissé les 40 minutes suivantes à renfort de café. Voilà, c’est super chiant, archi convenu, d’un niveau de clip vidéo pseudo arty, et d’une inanité difficile à comparer. Cela dit, ça atteint par là son but : parler du vide en en étant la définition la plus pure.

Tout aussi arty, mais sans faire exprès, c’est Jaguar Force Thunderbolt, nanard super-culte dont je ne connaissais pas l’existence jusqu’à y a pas longtemps. Gloire à celui qui me le fit connaître. Il s’agit donc d’un film d’exploitation taïwanais avec des méchants, des gentils et des dialogues de fous. Le film est culte car il fait partie de ces chefs-d’œuvre du doublage : celui-ci a été fait directement par la société de production et est donc réalisé par des acteurs chinois qui parlent (un peu français).  C’est drôle. Comme en plus la version VHS (seule dispo à ce jour à ce qu’on dit) est tout simplement mal cadrée (il manque littéralement 5 centimètres à gauche et à droite), on passe deux heures devant un film qui pourrait avoir été écrit par Godard : des dialogues tout chelou, déclamés sur des tons blancs, entrecoupés de silence (pour correspondre aux mouvements faciaux du mandarin, malin !), des considérations existentielles écrites dans un français durassien, le tout sur des images où il manque souvent un personnage (à cause du problème de cadre) et qui sont soit surexposées (il fait tout blanc) soit complètement noires. Le hors-champs, la désincarnation, le mensonge des images, l’infidélité de la lumière : autant de thèmes qui nous excitent et qui réjouiront le patient spectateur de cet objet artistique exotique.

Lights out, Sanberg, 2016
The neon demon, Refn, 2016
Fei bao xing dong, Pan, 1981 

dimanche 27 novembre 2016

Preacher

                          
Je viens de finir après moult atermoiements, la première saison de Preacher, énième adaptation d'un roman graphique (?) en série, mais produit par Seth Rogen et Evan Goldberg. Comme souvent, je m'y suis mise sans avoir trop d'info sur le contenu - je savais juste que c'était un truc de redneck. C'est ça, mais en mieux.

Preacher raconte l'histoire de Jesse, de retour dans son patelin d'origine du bumfuck Texas pour reprendre l'église de son père (preacher avant lui). Mais Jesse n'est pas vraiment preacher, en fait. Non, il est plutôt ex-malfrat tendance cowboy, avec un ex aux trousses assoiffée de sang (pas le sien, hein). En plus de ça, il se prend une sorte de boule de feu lumineuse dans la gueule en plein sermon et se met à avoir des pouvoirs super chelou - il ouvre les yeux des gens dans le coma, il ramène des tycoon à Dieu et il simule des suicides pour faire peur; bref, il devient un peu Jésus. Comme si ça ne suffisait pas, atterrit dans un jardin un drôle de peye avec un teint blafard et un accent anglais (??) à couper au couteau, qui n'est autre qu'un vampire - d'où le teint livide. 

Mazafaka.
                                 
A partir de là, on se demande un peu comment tout ça va tourner: ça fait beaucoup de références pour un seul homme finalement. Mais en fait non: on se retrouve avec un truc entre True Blood, Banshee et Dogma: un peu redneck, un peu sanguinolent, un peu religieux-mais-pour-déconner. Il y a des courses-poursuites en pick-up sur les routes poussiéreuses, des mères de famille courageuses qui travaillent dans des dinner, des gros flics un peu mou du bide, des industriels de la viande impitoyables, une paire d'anges à grands chapeaux en mission sur terre, des suicides ratés (impressionnant!) et bien sur des cow-boys modernes à col romain. Le tout est entrecoupé de flashback (parfois pas super clairs si on suit pas), sur un son de guitare country, qui fait "boiiiiing" (genre Bwow) et toujours le désert, les plans en contre-plongé un peu comics, la sueur du Sud et des villes de bouseux qui suinte la graisse de porc et l'ennui vague. Yum.

lundi 21 novembre 2016

Ecran total

Ça fait un moment que je n’ai plus pris la plume, pourtant, que de bons films ces derniers temps – autant que de déconvenues, mais ce sera pour un prochain numéro. Ces trois premiers films n’ont pas grand-chose en commun mais quelque part en fait si : ils parlent de domination, de résistance et de fantasme du chevalier sauveur.

Nocturama est à cet égard bien étrange : film sur lequel on a pas mal bavé quand il est sorti : bah oui, il parlait de terrorisme dans un contexte pas franchement folichon mais surtout, il avait l’outrecuidance de parler de terrorisme politique, carrément ancré à gauche et qui pose un peu la question : alors quoi, sont sympas ou pas les terroros, huum ? Je m’en fus donc le voir avec circonspection, peur de me retrouver devant un énième film de gauchiste nostalgique d’Action Directe, mais je savais par dedans moi que Bonello était plus finaud. Et il l’est, de façon assez démentielle. Le film raconte donc un attentat, ou plutôt des attentats, coordonnés, minutieusement préparés et exécutés en plein Paris pour frapper au cœur de la société capitaliste (qui est trop méchante). Sous les cagoules, des petits jeunes plutôt mignons  et le teint frais, un peu banlieue mais avec le bac, bref, des gens comme vous zet moi. Tout est filmé quasi sans un mot, au rythme des rames de métro, des échanges de sac, des micro-actions qui convergent toutes vers un truc qu’on sent global et qui va faire mal. Arrive l’explosion finale et ces petiots se retrouvent tous autour d’un bon verre dans les galeries Lafayette une fois celles-ci fermées. Vous me direz, y’a mieux comme planque, mais bon. Et c’est là que le film devient vraiment intéressant : ces gamins, paumés dans un centre commercial de luxe et enfermés pour la nuit, que font-ils ? Ils parlent de Nietzsche ? Ils débattent sur la lutte des classes ? Ils écrivent des trucs révolutionnaires sur les manteaux du rayon fourrure ? Bah non. Ils essayent des baskets super chères, ils bouffent des gâteaux de chez Fauchon et ils mettent Rihanna à fond. Ça fait un peu chelou du coup : et quoi, la révolution sociale, alors ?  C’est là que c’est assez superbe : on se rend compte qu’à posteriori, on a peu d’info sur leurs raisons, motivations – en fait, quasiment aucune n’est énoncée comme telle. On peut juste supputer, supposer et surtout projeter ce qu’on pense être les raisons de leur colère. Mais est-ce que ce ne sont pas un peu les nôtres dans le fond ? Ça renvoie un peu au fantasme du gentil quadra installé dans sa vie qui s’imagine que les jeunes vont faire la révolution qu’il n’a pas eu les couilles de faire à leur âge  « wouaaa, trop forts les jeunes, trop bien les printemps des peuples, trop cool les indignés » alors que c’est surtout une révolution qui tourne à vide, on dirait qu’on sait pas trop pourquoi on la fait, on y croit mais est-ce qu’on comprend vraiment ou juste besoin d’un truc à faire le samedi soir ?

Autre film attendu longtemps, le récit de l’affaire Arche de Zoé fait par Lafosse dans Les chevaliers blancs. Lafosse n’est pas mauvais quand il s’agit de parler de fait divers et il le fait ici de nouveau avec pas mal de classe. L’histoire, on la rappelle vite fait : c’est cette association partie en Afrique sauver des orphelins et qu’on a chopé sur le tarmac d’un aéroport avec une centaine de gamins dont la plupart n’était absolument pas orphelins, gamins destinés à être adoptés par des familles en France qui avaient « contribué » à l’association à hauteur de 1000-2000 euros. Un truc qui pue un peu, quoi. Ici, c’est raconté de très près, comme d’habitude, sans trop de pathos, à travers le déroulé de l’action humanitaire, ses déboires, ses emmerdes. Il n’y a pas de jugement comme tel mais la charge est plutôt lourde : ça dresse un portrait assez flippant de la gentille âme charitable, de la bonne volonté du bon blanc et de l’eurocentrisme de base qui reste un obstacle assez énorme à une bonne compréhension. Images superbe, bande-son bien foutue – seul bémol, les acteurs, un peu mouais.


Enfin, Elle qui a aussi fait couler beaucoup d’encre de son côté : un film qui parle de viol, d’agression, de domination masculine et de comment on s’en sort ? Un thriller avec des personnages ambigus, étranges et tous plus tarés les uns que les autres ? Un film pour laisser Huppert faire joujou avec tous ses rôles de dominatrix froide et impassible ? Un peu des trois en fait. Pour résumer, c’est l’histoire d’une femme normale qui se fait agresser chez elle – genre violer. Comme elle est méga badass  (et un peu cintrée) elle ne porte pas plainte et déballe toute l’affaire à ses potes sur un air de « bon, tiens au fait, il m’est arrivé un truc, l’autre jour ». Du coup, on s’étonne : mais quoi, et les flics ? Et l’agresseur ? Et la vengeance dans tout ça ? Elle, elle s’en fout. Mais l’agresseur, lui, continue à la suivre, lui parler, l’approcher, la chercher. On n’en dira pas plus, sinon c’est péché, mais c’est effectivement un film excellent, qui tape sur un truc très intéressant à savoir la façon dont les autres pensent que vous devez vivre votre agression, comme si une fois que c’était fait, vous deveniez une sorte de cause publique. Ben en fait non, et chacun a le droit de vivre ses trucs dans son coin, de gérer comme il veut, de prendre le pouvoir où il le trouve. Le personnage d’Huppert est hyper bien foutu, un cliché de femme froide, indépendant et qui a besoin de personne mais qui est en fait bouffée de tous les côtés par une horde de gens (surtout des hommes d’ailleurs) complètement assistés qui non seulement la sucent jusqu’à la moelle mais à qui elle est censée faire croire qu’ils ont raison. Elle, elle se démerde comme elle peut et le film le raconte très bien. Après, espérer qu’il livre une morale ou une conclusion sur la question du viol, c’est prendre le problème à un niveau des fables de la Fontaine : on est d’accord que la vie est quand même un peu plus complexe, non ?

Nocturama, Bonello, 2016
Les chevaliers blancs, Lafosse, 2015
Elle, Verhoeven, 2016